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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/175

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les mœurs héroïques des races batailleuses, depuis celles des Aryans, sur lesquels nous savons si peu de chose, jusqu’à celles de ces Germains, de ces Scandinaves, toujours prêts à boire et à se battre. Parfois alors la vérité se fait jour, et au milieu de ces descriptions enthousiastes se glissent des aveux singuliers. L’orgueil farouche, l’insubordination indomptable de ces héros, ne peuvent se dissimuler entièrement aux regards de leur admirateur. S’il n’avait été entraîné par des idées préconçues, il se serait demandé quelle société pouvait s’élever sur de pareils fondemens, et la réponse ne se fût pas fait attendre. Ici encore les faits parlent bien haut. Nulle part M. de Gobineau ne nous montre et ne peut nous montrer un grand empire exclusivement composé de ses Aryans ou de ses Germains, exerçant autour de lui une attraction irrésistible, régnant par la paix autant que par la guerre, fondant en un mot une civilisation. Il ne peut pas même nommer une seule nation stable et assise composée d’élémens purement blancs, en donnant à ces mots la signification qu’il leur réserve. Pour pouvoir attribuer à cette race d’élite ce caractère suprême de supériorité, il est obligé de recourir à ces grands tumuli, à ces ruines mystérieuses que recèle l’Asie centrale, et de supposer que là existaient, antérieurement à toute histoire, de grandes populations blanches jouissant d’une civilisation avancée. Or, en admettant que les Tchoudes aient été les ancêtres de tous les peuples blancs, — hypothèse que je ne veux pas discuter, — en supposant encore qu’ils aient formé un ou plusieurs corps de nation comparables à ce que nous savons avoir existé ailleurs, les traces qu’ils ont laissées n’accusent-elles pas un état de choses bien inférieur aux grandes civilisations brahmaniques ou égyptiennes, sémitiques ou grecques, romaines ou modernes ? Toutes ces civilisations pourtant, c’est l’auteur qui l’affirme, n’ont paru qu’après le mélange de la race blanche avec les races noire ou jaune. Le croisement n’a donc pas entraîné ici de suites bien regrettables ; il semble au contraire avoir produit les résultats les plus heureux.

À vrai dire, il ne pouvait en être autrement. Les caractères de race, ne l’oublions pas, sont, dans l’ordre d’idées que je discute, quelque chose de fondamental qui ne se modifie ni par lui-même ni par l’action du monde extérieur. S’il en est ainsi, toute race qui reste isolée est nécessairement stationnaire. Or chacune des trois races primitives, prise isolément, était foncièrement incomplète et obéissait à des instincts exclusifs. Par suite, ses qualités, développées sans contrôle et poussées à l’excès, tournaient aisément en défauts ; ses défauts devenaient des vices ; rien de nouveau ne pouvait surgir. Par les croisemens, elles se sont complétées ; les exagérations