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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/235

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fus, c’est assurément la plus difficile des œuvres. Cette histoire n’est point finie, elle est pleine de problèmes, elle se complique à chaque instant de faits nouveaux, ou elle touche par tous les côtés à des passions encore vives ; c’est un vrai champ de bataille. L’esprit ne reprend sa sérénité qu’en se retournant vers le passé, où il retrouve d’autres événemens et d’autres hommes. Est-ce donc que cette sérénité de l’esprit ressemble à de l’indifférence au spectacle d’un monde qui s’éloigne trop du nôtre pour nous intéresser et nous émouvoir ? Non, l’intérêt est d’une autre nature, mais il existe. Il est du moins certaines parties de l’histoire qui gardent toujours un attrait profond, parce que, sans offrir un aliment aux passions actuelles, elles éclairent la suite des choses et sont pour ainsi dire le commencement du temps présent. Pourquoi s’est-on proposé si souvent d’analyser, de décrire la marche des institutions politiques, les transformations de la monarchie, le progrès des classes ? C’est qu’évidemment ces évolutions étaient autant d’étapes conduisant au seuil du siècle actuel et expliquant jusqu’à un certain point tout ce que les contemporains ont vu. Il en est de même de cet autre grand fait qu’on nomme la formation de l’unité nationale française. M. d’Haussonville, on ne l’a pas oublié, s’est attaché à l’un des épisodes les plus saillans de ce séculaire travail de formation en écrivant avec autant de zèle que d’habileté l’Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France. Il continue aujourd’hui comme il a commencé, en publiant un volume nouveau, qui est le troisième de cette instructive histoire. L’auteur ne s’est point contenté des faits ou des détails connus, il a puisé dans les archives des affaires étrangères de France, dans les archives de cour et d’état à Vienne, et il y a recueilli des lumières nouvelles qui éclairent certaines grandes figures comme celle de Mazarin, et toute cette galerie de princes de la maison de Lorraine. Certainement dans un tel sujet ce qui frappe avant tout, c’est le résultat, c’est la France se complétant par une province qui lui était si adhérente, c’est l’unité nationale triomphant de l’esprit local. On ne saurait nier cependant, pour l’honneur de la justice et de la vérité, que ce travail d’assimilation ne cache souvent bien des abus crians de la force. Quelque logiques, quelque nécessaires même que soient ces grands faite, il y a des résistances généreuses, il y a les tressaillemens de ce sentiment d’indépendance qui appartient aux petite comme aux grands, et qui ne cède qu’à une longue pression. Préméditée depuis longtemps, poursuivie à travers les péripéties de trois ou quatre règnes, l’incorporation définitive de la Lorraine n’est consommée qu’à la mort de Stanislas Leczinski, il y a un siècle à peine, après les coups redoublés de Richelieu, de Mazarin et de Louis XIV. C’est cette lutte que M. d’Haussonville décrit en remettant habilement au jour des scènes souvent peu connues où sont en jeu tous les ressorts de la politique de la France et de l’Europe.

Il y a ici un intérêt de plus, celui qui s’attache à la destinée de ces princes lorrains ; famille singulière qui est sur le point d’arriver au trône de France avec les Guises, qui court sur toutes les routes ou sur tous les champs de bataille de l’Europe avec le duc Charles IV, et qui avec le petit-fils du duc Charles V, finit par monter au trône des Habsbourg, où elle est encore. Quelle figure plus curieuse que celle de ce Charles IV, vrai personnage de roman, batailleur et léger, trahi par ses alliés les Espagnols, qui l’envoient prisonnier