Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/253

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ville des palais en 1855, pendant le mois de novembre, l’un des mois les plus gais de l’année, liste que je traduis littéralement du Bengal sturkum, l’organe le plus influent de la publicité indienne.


« Mercredi 10 novembre, midi, réunion des actionnaires du Bengal Coal Company.

« Jeudi 7 novembre, sept heures du soir, réunion des membres de la Société d’éducation fondée par M. de Béthune.

« Lundi 22 novembre, midi, réunion des actionnaires des docks de Howrah.

« Jeudi 25 novembre, concert au bénéfice de M. Valadarès.

« Samedi 27 novembre, leçon du docteur Woodehouse sur le télégraphe électrique. »


Que celui auquel il faut d’autres plaisirs que des réunions d’actionnaires ou des leçons sur le télégraphe électrique ne s’achemine pas vers la cité des palais, car je ne vois pas un iota à ajouter à ce menu de gaietés publiques détaché de la feuille anglo-indienne.

Calcutta est en effet une ville d’affaires par excellence, au sein de laquelle, sauf quelques militaires, il ne se trouve pas d’oisifs. Fatigué du travail du bureau, l’administrateur ou le marchand se trouve peu disposé à sortir de chez lui le soir. Le climat, les habitudes de l’Inde se prêtent peu d’ailleurs aux réunions nocturnes. Pendant neuf mois de l’année, si vous voulez jouir de quelque fraîcheur, il faut être debout à la pointe du jour et rentré au lever du soleil, si bien que, vers dix heures, les plus éveillés même préfèrent les plaisirs du lit à ceux du théâtre ou du bal. De plus, la morgue officielle, la froideur britannique, les désastres commerciaux, les distinctions de la peau, ont divisé la société de Calcutta en coteries pleines de rivalités où la déesse de la discorde règne en souveraine, et exige, comme holocauste de toute réunion, le sacrifice d’un dindon et d’un jambon arrosés de Champagne, le dindon, le jambon et le Champagne formant une véritable trinité symbolique de l’hospitalité anglo-indienne. De là une monotonie dans le peu de plaisirs que se donnent les Européens de Calcutta, une absence de vie, de gaieté, dans les réunions, dont je ne peux donner une meilleure idée qu’en citant le fait d’un beau jeune homme servant un soir à une société de vingt personnes en intermède musical d’après-dîner le chant de la Marseillaise, et qui, debout près d’un piano, exhalait l’hymne républicaine de la même voix dolente dont il eût soupiré une romance de troubadour ; mais au lieu de nous arrêter plus longtemps à des plaisirs assez peu réjouissans, il est mieux de piquer droit au Bengal club, le club le plus fréquenté de Calcutta, où l’étranger peut admirer avec quelle supériorité la race anglo-saxonne comprend et pratique la vie en commun entre hommes.