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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/256

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du cheval et du cavalier : il arrive souvent que le cochon poursuivi se retourne résolument, et chargeant galamment ses ennemis, ne leur laisse qu’une victoire chèrement achetée par de profondes blessures. Le cochon mort devient la proie d’une multitude de natifs, qui viennent faire curée à coups de hache, tandis que les chasseurs s’éloignent de ce répugnant spectacle pour chercher d’autres victimes.

Vers midi, le soleil est à son zénith, les chevaux sont haletans, les estomacs creux, les gosiers embrasés, toutes les gourdes à sec ; il est temps de procéder au tiffin, et les cantines sont ouvertes sous l’ombrage imparfait du premier bouquet d’arbres à portée. En un clin d’œil, les chasseurs harassés sont étendus sur des bottes de paille, avec des viandes froides, des pains, des bouteilles au long col, un rocher de glace qui pleure au soleil ; mais ce qui donne surtout un cachet original à ce tableau, c’est la présence d’une nuée de natifs qui, accourus des quatre points cardinaux, viennent s’accroupir sur trois ou quatre rangs, à vingt pas des déjeuneurs, et là, immobiles et muets, dévorent de leurs grands yeux noirs les visages pâles dont l’étrange accoutrement et l’appétit homérique défraieront pour de longues soirées sans doute la causerie du village.

Comme je l’ai dit plus haut, les membres du Tent’s club font non-seulement la guerre aux cochons sauvages, mais encore au roi des forêts, au tigre lui-même. Ma première rencontre avec ce héros de la jungle m’a laissé de si profonds souvenirs, que je prendrai la liberté, sans la moindre arrière-pensée toutefois de concurrence au brave capitaine Gérard, de donner un daguerréotype complet de ce jour solennel de ma vie de sportsman. Dans les premiers jours de janvier 1853, le télégraphe électrique qui relie Calcutta à Diamond-Harbour annonçait assez régulièrement qu’un tigre réfugié dans le voisinage avait croqué son homme. Une chasse à sa poursuite fut organisée par le Tent’s club, et je m’y rendis comme hôte de mon digne ami F… Le samedi 15 janvier fut un jour de buisson creux, et le dimanche tirait à sa fin, sans que nous eussions eu des nouvelles du gibier, quand des amis vinrent nous avertir que des pas frais de tigre avaient été vus dans une jungle peu distante, aux bords du fleuve. Cette jungle, formée de palmiers nains de trois pieds et demi de haut environ, s’étendait sur un espace d’environ trois quarts de mille de long sur un quart de mille de large. Les éléphans furent disposés en ligne, à intervalles égaux, à travers la jungle, et nous marchâmes à l’ennemi dans un profond silence, suivis d’une queue de natifs, attirés par la curiosité du spectacle.

À peine en mouvement, nous levâmes un cochon sauvage qui fut respecté de tous les chasseurs, sans que notre bienveillance lui rendît