Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monumentales d’une architecture peut-être bizarre, mais dont i’ensemble n’est pas dépourvu de majesté. Ces édifices, palais, temples ou forteresses, car on ne saurait d’abord en définir le caractère, ces édifices, dis-je, flanqués de tours, avec un haut portail, de longues et étroites fenêtres, un panache de tourillons et de pavillons chinois, dominent fièrement la rivière, et communiquent avec elle par des escaliers monumentaux, ghauts, suivant le nom consacré, presque tous comparables pour la grandeur de leurs proportions au magnifique escalier de Versailles. Des centaines de temples hindous, peints de couleurs tranchantes, avec des coupoles en mitre d’évêque, des ornemens bizarres, des dorures à profusion, adoucissent la sévérité de ce tableau, que termine majestueusement la mosquée d’Aurengzeb, monument de conquête qui s’élève en vainqueur sur une éminence aux limites de la ville.

Mais c’est surtout au lever du soleil que le panorama de la cité sainte présente aux yeux du voyageur un spectacle plein d’animation et de fantaisie. Les escaliers géans sont couverts d’une population de baigneurs qui monte et descend comme le flux et reflux sur la plage : au milieu de ses rangs pressés, des taureaux sacrés avec leur accent circonflexe sur le dos circulent d’un pas lent plein de dignité. Des gardiens d’un aspect récalcitrant, en turban rouge, le sabre au côté, assis dans des tribunes au bas du ghaut, surveillent d’un œil anxieux la foule des baigneurs,.et exigent même des plus pauvres le tribut de quelques cowries. Une innombrable multitude d’hommes, de femmes, d’enfans, frétille dans les ondes, tandis qu’aux dernières marches des ghauts des milliers de petits pots de cuivre déposés par les baigneurs reflètent en éclats brillans les rayons du soleil. Quoique le très petit nombre se hasarde seul au milieu des eaux, les catastrophes ne laissent pas d’être assez fréquentes parmi eux. Tous ces accidens ne doivent pas être attribués à des imprudences ou au hasard. Des malfaiteurs habiles dans l’art de plonger saisissent et entraînent ; dit-on, sous les eaux les femmes et les enfans pour s’emparer de leurs pendans d’oreille et de leurs bracelets, et l’on assure que l’un de ces scélérats a mené victorieusement pendant plusieurs années cette épouvantable industrie en s’affublant d’une peau de crocodile. Souvent aussi des fanatiques viennent chercher une mort volontaire au milieu du fleuve sacré, suicide qu’ils accomplissent en s’attachant autour du cou de grandes jarres de terre. Ainsi équipés, ils s’abandonnent au courant de la rivière, et apprennent bientôt par expérience que « tant va la cruche à l’eau, qu’à la fin elle s’emplit. » La scène pleine de mouvement que j’ai tenté d’esquisser, scène digne de l’étude d’un peintre qui voudrait représenter l’Inde des brahmes sous ses plus