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Le marquis de Carabas lui-même, ce propriétaire d’assez célèbre mémoire suivant la tradition, aurait pu, non sans raison, gémir de l’inégalité des dons de la fortune, si le hasard l’avait conduit dans la cité de Lucknow. Partout, à chaque pas, vous vous trouvez en présence de monumens publics, palais, maisons de plaisance, mosquées sépulcrales, qui portent les insignes de la royauté native : deux poissons en guise d’armoiries à la façade, et deux parasols dorés sur le sommet de l’édifice. Ce qui explique cette richesse de l’apanage royal, c’est la coutume adoptée par chaque souverain de faire construire à son avènement un nouveau palais. Aussi la plupart de ces édifices construits d’hier tombent en ruines, et l’entretien des palais du roi lui-même laisse beaucoup à désirer. Quant au mobilier des demeures royales, on ne saurait rien imaginer de plus mesquin : des murailles peintes à la chaux ou décorées d’arabesques ternies, des sophas fanés, des tapis éraillés, et dans les appartemens favoris des bassins peuplés de poissons rouges, des pendules sans mouvement et sans voix, des collections de lithographies à bon marché dont les sujets forment souvent les plus bouffons contrastes. Pour n’en citer qu’un exemple, je parlerai d’un pavillon où une série de tableaux représentant les batailles de la guerre de la Péninsule se trouve régulièrement entremêlée de dessins dont les sujets sont empruntés à l’histoire d’Atala et de Chactas, auquel sa peau brune et son costume plus que léger ont valu sans doute droit de cité dans le boudoir royal. Tout cela est bien loin de cette Inde des contes arabes, que le voyageur emporte naïvement dans sa cervelle. Vous pouvez toutefois saisir au passage certains détails de la vie intime de cette royauté indienne et déchue qui ne sont pas sans intérêt. Les logemens réservés au harem occupent plus de la moitié des bâtimens dans toutes les habitations royales, car le roi de Lucknow est sans contredit l’un des plus grands polygames de la terre ; son sérail se compose de cinq cents femmes, et il y a un mois à peine qu’il a eu la curieuse idée de parfaire quatre fois en un jour les cérémonies du mariage, cérémonies religieuses bien entendu, conformément aux rites de la loi musulmane. Parmi les divertissemens qui arrachent quelquefois aux délices du zénana ce représentant couronné de l’Inde du bon vieux temps, il faut placer au premier rang les combats d’animaux. C’est dans le palais où sont reçus les étrangers que se célèbrent ces jeux, et malgré ce qu’ils ont de cruel, je regrette vivement de n’y avoir pas assisté. L’arène qui sert de théâtre ne rappelle en rien les cirques gigantesques des Romains. C’est une petite cour de quelques centaines de pieds carrés, dominée par des murailles élevées, sur laquelle ouvre au premier étage une galerie protégée par d’épais barreaux, d’où le spectateur peut saisir sans danger tous les détails de