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nauséabondes ; à l’étalage de cent boutiques de confiseurs s’élèvent des monceaux de sucreries d’un aspect peu engageant, et dont les natifs sont si friands, que l’on raconte qu’à un jour de victoire un gouverneur-général, lord Ellenborough, ne crut pouvoir mieux récompenser ses cipayes qu’en leur faisant servir double ration de sucre d’orge. Notons encore pour mémoire des boutiques de grains, d’étoffes de toutes sortes, d’objets de sculpture d’un goût tout primitif, et sous l’abri des arbres des jardins les écuries de marchands de chevaux venus de Caboul. Je distingue parmi leurs animaux plusieurs chevaux d’un blanc nuancé de rose, avec des yeux rougeâtres, sortes d’albinos de l’espèce chevaline que les princes natifs recherchent avec passion. Voici enfin une scène qui rappelle les splendeurs des cours indiennes d’autrefois. La foule vient de s’ouvrir devant un peloton de cavaliers à tournure martiale, armés de longs fusils à mèche. Ces soldats servent d’avant-garde au rajah de Békaneer, prince du Rajpootana, l’un des derniers représentans de l’indépendance indienne, qui vient baigner aux lieux sacrés, avec tout l’appareil d’une cour souveraine, non-seulement sa personne, mais encore la dépouille mortelle de son père et de son grand-père, car il porte, dit-on, dans un sachet autour du col les cendres de ces vénérables personnes. Une longue file de chameaux chargés de pèlerins suit immédiatement le groupe de cavaliers, et précède le fils du rajah, un bambin de huit ou dix ans, qui, monté sur un éléphant richement caparaçonné, s’avance majestueusement au milieu d’un cortège de serviteurs portant masses et cannes à pomme d’argent, éventails de plumes de paon, etc.

Le soleil monte à l’horizon et commence à chauffer mon crâne à une température rouge ; quatre 9 alignés ne représenteraient certes pas en mètres cubiques les flots de poussière que j’ai avalés depuis l’aube du jour. L’heure du déjeuner va sonner ; ce sont là motifs suffisans pour m’engager à terminer ma visite au camp des pèlerins et à reprendre le chemin des tentes européennes où j’ai trouvé le plus bienveillant accueil. J’aurai d’ailleurs à traverser sur ma route une des parties les plus curieuses du camp, celle réservée aux sannyassis ou hommes saints. Sous tous les climats, dans toutes les croyances, il s’est rencontré des sectes austères qui ont rendu hommage à la Divinité par la mortification des sens et la privation de tout bien-être matériel. Nulle part toutefois le renoncement aux bonnes choses de ce monde n’a été pratiqué avec des formes extérieures comparables en brutalité et en cynisme à celles adoptées par les cinq ordres religieux qui se divisent les milliers de dévots de profession que compte la population de l’Inde, savoir : les nerhanees, les nerunjunees, les baïragees, les punchalees et les oodassees. Chacun de ces ordres a