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l’armée gauloise, descendant la vallée du Pô jusqu’à Ravenne, devait faire sa jonction avec l’armée italienne sous les murs de cette ville, débloquer l’empereur, et alors commencerait en Italie une campagne qui changerait sans doute la face des choses, on s’en flattait du moins ; mais pour l’exécution de ce plan, qui ne manquait pas d’habileté, il fallait que les routes fussent libres. L’empereur se mit donc à négocier une trêve avec les Goths, trêve qu’Alaric accorda sans se trop faire prier, parce que lui-même avait dessein de faire venir de la frontière illyrienne en Italie le dernier ban de la nation des Visigoths, sous la conduite d’Ataülfe, frère de sa femme. Chacun trouvant son intérêt secret à la conclusion d’un armistice, il fut convenu et juré de part et d’autre, et les choses prirent en Italie un aspect plus tranquille. Ce fut, suivant toute apparence, l’instant que choisit Jovius pour regagner la Gaule et presser le départ de cette armée sur laquelle reposaient tant d’illusions.

On eût dit que la destinée suscitait toujours comme à plaisir quelque nouvel obstacle contre les bonnes intentions de l’empereur des Gaules pour empêcher l’accord fraternel des deux collègues. Cette heureuse trêve, qui les accommodait si bien, fut rompue presque aussitôt que jurée : elle le fut par l’épée de Sâr, à l’insu et malgré le désir d’Honorius. Ce partisan indisciplinable n’avait pas tardé à se brouiller avec l’empereur des Romains, comme il l’avait fait avec ses compatriotes les rois visigoths, et il courait maintenant l’Italie sous son propre drapeau, roi de sa bande et ne reconnaissant de gouvernement que sa volonté. Lorsqu’il apprit qu’à la faveur de la trêve qui venait de se conclure, Alaric faisait entrer en Italie les dernières tribus de la nation des Goths sous la conduite d’Ataüfe, son ennemi mortel, l’idée d’une vengeance facile se présenta à son esprit, et il courut leur tendre une embuscade sur la route, espérant enlever ou tuer Ataülfe par surprise. Il n’y réussit point, mais il mit le désordre parmi ses compatriotes, dont un grand nombre perdirent la vie. Cette aventure jeta Alaric dans la plus violente colère : dédaignant d’abaisser ses récriminations jusqu’à un chef de bandits, le roi goth s’en prit à l’empereur. Il n’ignorait certainement point que Sâr n’était plus au service de Rome, que la trêve par conséquent ne le regardait en rien, que de plus cet homme était incapable de subordonner ses fantaisies à aucune règle ; toutefois, comme le roi goth, ayant opéré sa jonction avec Ataülfe, n’avait plus besoin de la trêve, il lui plut d’en attribuer la rupture aux Romains. Il trouva d’ailleurs expédient d’arrêter par un bon exemple les embauchages qu’on pratiquait journellement dans son armée et jusque sous ses yeux, en rendant l’empereur responsable de la conduite des déserteurs barbares, alors même que ceux-ci, comme dans la circonstance présente, auraient quitté le service romain. Pour toutes