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bien misérable pour être aussi cruelle. » Elle vide sa bourse sur le pavé, et aussitôt de toutes les cavernes voisines sort une population grouillante et tumultueuse, pareille aux sales bouillonnemens de quelque infâme sortilège cuisant dans une marmite de sorcière. Aurora passe rapidement et monte un escalier délabré et obscur. Devant elle enfin se présente la fiancée de Leigh, fleur poussée sur un fumier, et dès les premiers regards Aurora se sent prise de sympathie. « De si douces fleurs, pensé Aurora, peuvent-elles sortir d’aussi grossières racines ? Ce peuple d’en bas peut-il pécher ainsi, blasphémer ainsi qu’il le fait, sentir si mauvais… pouah ! et cependant avoir de telles filles ? »

Marian, à vrai dire, n’était pas précisément belle, mais tout en elle séduisait par un charme enfantin et une radieuse innocence, regard, sourire, douceur des traits, tout jusqu’aux fossettes des joues. Rendant à Aurora la sympathie qu’elle lui avait inspirée, Marian raconte son histoire, une histoire horriblement vulgaire, vieille comme la souffrance, et toujours émouvante ! Elle était née d’un père brutal et d’une mère souvent battue. Lorsque l’enfant eut grandi, un jour sa mère, qui avait été plus battue que de coutume, ayant l’âme remplie d’amertume malfaisante, la prit par la main, et sortit avec elle. Lorsqu’elles furent arrivées au terme de leur course, l’enfant releva la tête et vit un homme qui la contemplait, avec des yeux de bête de proie : « Enfant, enfant, le squire vous parle, répondez-lui, le squire est bien bon ! Soyez aimable avec lui. » À ces mots, l’innocence opéra en elle comme une révélation obscure, la peur la saisit, et, s’échappant des mains de sa mère, elle courut tant qu’elle put et jusqu’à ce qu’elle tombât dans un fossé du chemin. Un paysan la recueillit dans son chariot, tout en proie à la fièvre et au délire, et la conduisit à l’hôpital de la ville voisine. Sa maladie fut relativement un temps de bonheur. Lorsqu’elle fut entrée en convalescence, elle entendit la même personne qui l’avait soignée dire froidement : — Vous partirez la semaine prochaine. — Partir, et pour aller où ?… C’est au moment où elle se posait cette terrible question que Romney fit son apparition dans la salle des malades. Il parcourut les rangs, adressant à tous de sa voix douce des paroles de consolation ; mais après s’être approché de Marian et avoir entendu son histoire, sa voix devint plus douce encore. « Pauvre enfant, ayez confiance en Dieu, dit-il ; il est meilleur pour nous que ne le sont bien des mères. » Il emmena la jeune fille avec lui et prit soin d’elle. Un an s’était passé depuis cette époque, la voix de Romney résonnait claire comme au premier jour dans le cœur de Marian, et l’affection de Romney, aidée de ses théories démocratiques, s’était transformée en un véritable amour. Il faut lire dans mistress Browning cette description de la vie d’hôpital ; cela est fin, doucement coloré, éclairé d’un rayon, comme les pauvres