venus après lui aussi bien que des artistes ses contemporains. Je m’explique : les plus considérables de ceux-ci ont pu, à un moment donné, exercer sur son talent une véritable influence et le renseigner utilement dans des sens fort différens. On a vu que les débuts de M. Delacroix ne furent pas à cet égard sans autorité, et quoi qu’aient essayé, soit dit en passant, amis ou ennemis pour envenimer ensuite l’espèce d’antagonisme né des premiers succès, jamais M. Delaroche ne marchanda au mérite de celui qu’on lui opposait un peu amèrement comme un rival les justes éloges et la sympathie ouverte. Plus tard il s’aida des exemples de M. Ingres pour donner à son style des formes plus sévères. Ni M. Ingres, ni M. Delacroix cependant, ni tels autres maîtres dont il lui arrivait de consulter les ouvrages en vue d’un progrès quelconque, n’ont ouvertement modifié sa méthode d’exécution, encore moins dénaturé son sentiment. Les perfectionnemens successifs de sa manière, il les a dus surtout à lui-même, à l’expérience personnelle, aux longues méditations. Est-ce à dire que M. Delaroche se soit tenu si fort à part de ce qui se passait autour de lui, qu’il semble comme dépaysé dans notre école et dans notre siècle ? Rien ne serait moins conforme à la vérité. Aucun peintre au contraire, — il faut le répéter, — n’exprime avec plus de fidélité les tendances générales et les aspirations au milieu desquelles il a vécu. Ses œuvres résument clairement le mouvement d’idées qui s’est accompli en France depuis trente ans, et les coutumes d’esprit, les goûts de la majorité. C’est par là que ce nom vivra et qu’il figurera l’un des premiers dans l’histoire de l’art au XIXe siècle, quelles que puissent être d’ailleurs les sympathies ou les sévérités que l’avenir réserve à notre époque. L’honneur de M. Delaroche est d’avoir su s’identifier plus intimement que personne avec les besoins intellectuels de son temps, sans concessions excessives toutefois, sans parti pris de complaisance ni d’abnégation aveugle. Quoi de plus explicable dès lors, quoi de plus légitime que la popularité de son talent, popularité tout exceptionnelle, et que n’ont pas à beaucoup près obtenue d’autres talens aussi élevés, mais qui semblent moins que celui-là venus au moment opportun et dans leur exact milieu ? On ne saurait classer M. Delaroche parmi les initiateurs souverains ; en revanche, il n’est que juste de lui assigner une place entre les artistes dont la haute raison et le savoir honorent le plus l’école française. En un mot, s’il n’appartient pas par tous les caractères de son génie à la race des grands maîtres, il est au moins l’un des premiers dans la famille des grands talens.
HENRI DELABORDE.