Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quitta si mélancoliquement, que je fus remué jusqu’au plus profond de mon être. Je courus à elle, lui pris la main :

— Chère Gritti ! dis-je.

Elle détourna la tête.

— Christen, viens donc lui parler… Il y a quelque mystère… Dis-lui combien je voudrais la revoir, mais pas ici.

— Je vais l’engager à venir dimanche à la campagne avec nous.

— Oh ! oui !

Christen et Gritti s’entretinrent quelque temps en allemand. — Dimanche, à deux heures, tu viendras la prendre. Gritti désire que nous la laissions seule. En chemin, Christen m’apprit que la petite fleuriste s’était fait prier pour donner un nouveau rendez-vous ; mais elle avait avoué que je ne lui déplaisais pas, et elle me priait de garder son bouquet, comme elle garderait le mien.

Ces aventures mystérieuses, l’aveu de Gritti, son trouble et son bouquet m’avaient rendu tout à fait amoureux. — Allons, dis-je à Christen, je ne quitterai pas la ville sans parler le bernois. Et pendant deux jours j’étudiai une sorte de dictionnaire amoureux ; l’allemand me semblait la langue la plus douce du monde. Le dimanche suivant, j’allai dans l’Herrengasse, je vis avec une certaine inquiétude que la porte de la maison était fermée. Je frappai, on ne me répondit pas. Je revins chez Christen, le cœur serré comme aux approches d’un grand malheur. Je devins d’une humeur massacrante jusqu’au marché suivant, qui me parut vide et désert, car ta Gritti n’était pas à sa place ordinaire. Je poussai Christen à demander de ses nouvelles aux marchandes voisines, et on répondit que Gritti avait quitté la ville pour quelque temps. Moi-même, mes affaires me rappelaient en France, et j’embrassai Christen en le chargeant de me donner des nouvelles de la jolie petite Bernoise, ce qu’il fit exactement huit jours après d’une façon laconique : « La Gritti va se marier. »


CHAMPFLEURY.