Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’étudier l’Allemagne, les mœurs vraiment allemandes, et pour en finir une bonne fois avec les salons du baron de Sternberg il alla interroger les paysans de la Forêt-Noire. Les Histoires de village de M. Auerbach furent un événement ; un souffle pur rafraîchit l’atmosphère ; les parfums du printemps, les saines odeurs des sillons fraîchement remués, l’image du travail, l’étude des passions vraies, tout cela attira peu à peu l’imagination allemande loin des domaines artificiels où s’étiolait la poésie. Or, en découvrant cette veine, M. Berthold Auerbach n’avait pas cédé à une inspiration de hasard ; c’est un esprit réfléchi, une nature positive et critique, et toutes ses œuvres, même les moins réussies, attestent une méditation forte. Depuis ses Histoires de Village, le romancier de la Forêt-Noire a publié des livres que j’ai cru devoir blâmer ; il est incontestable cependant qu’il est devenu un chef d’école, et qu’il possède plusieurs des qualités nécessaires à cette tâche. Il a des principes auxquels il demeure fidèle alors même qu’il les applique d’une façon moins heureuse ; il a un ensemble de doctrines tout à fait dignes de l’Allemagne, dignes du XIXe siècle, et qui devaient rallier autour de lui des talens généreux. Le respect de l’humanité, un amour passionné du vrai, une aversion décidée pour ce faux idéalisme qui défigure l’homme en croyant l’embellir, voilà l’inspiration constante de M. Berthold Auerbach. Il y a douze ans, il triomphait du dilettantisme banal de son pays ; aujourd’hui il redouble de zèle pour combattre l’influence de ces romans et de ces drames empruntés au demi-monde par la demi-littérature.

Nous ne savons pas assez en France que nos œuvres sont examinées sévèrement en Europe ; ignorans comme nous le sommes des littératures de nos voisins, nous nous imaginons que les succès de Paris se continuent au-delà de nos frontières, et que les éloges des coteries sont répétés là-bas comme paroles d’Evangile. On nous traduit, on nous lit, mais on nous juge. Ce jugement même acquiert en ce moment une valeur originale. Dans un temps où la complaisance ne réussit que trop bien à énerver la critique, où le mensonge a droit de cité dans les lettres, il reste encore des coins de terre où l’indépendance de la critique n’est pas en péril, où l’on n’a pas à craindre qu’une parole sincère soit taxée de diffamation. En Allemagne surtout, les lecteurs compétens sont plus nombreux qu’ailleurs. Les vieilles plaisanteries sur les méprises littéraires de nos voisins ne sont plus de mise à l’heure qu’il est. S’il est vrai qu’un conteur de la rue ait été associé jadis dans l’admiration des Allemands au chansonnier du Roi d’Yvetot et au poète des Méditations, ce serait là en tout cas une bévue populaire dont la critique est parfaitement innocente, et qu’elle a été la première à bafouer. L’Allemagne