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constant et jamais égalé de l’art romain, ne pouvait manquer d’être de mode à une époque où, selon l’expression de Juvénal, Rome était devenue une ville grecque, et sous un empereur qu’on appelait dans sa jeunesse le petit Grec, on devait chercher à le reproduire ; mais la sculpture du temps d’Adrien se reconnaît à je ne sais quoi de poli, de glacé, qui est à Phidias ce que Fléchier est à Bossuet.

Adrien était dans toute la force du mot un touriste. Je l’ai dit, il y avait en lui de l’homme moderne, Sa curiosité était infatigable ; il voulait tout voir et tout lire sur ce qu’il avait vu. Je ne sais nul autre personnage dans l’antiquité dont on ait raconté qu’il avait gravi une montagne pendant la nuit pour aller voir un lever de soleil. Or c’est ce qu’Adrien fît deux fois : l’une de ces deux ascensions était celle de l’Etna, que nous tous qui avons été en Sicile devions faire après lui. Cette passion pour les lieux célèbres qui nous pousse à travers le monde, sans autre but que, d’aller voir ce dont nous avons entendu parler, cette passion toute moderne inspira à l’empereur Adrien la pensée de rassembler dans sa villa de Tivoli des imitations et des souvenirs de ce qui l’avait le plus frappé dans ses voyages, et surtout dans son voyage d’Athènes. Athènes était pour les Romains, ce que Rome est pour nous. On voyait dans cette villa le Poecile, le Prytanée, l’Académie d’Athènes et aussi le temple de Sérapis, à Canope. Adrien y avait placé la vallée de Tempe et jusqu’à la région fabuleuse des enfers. C’était un peu comme le palais de Sydenham, où l’on passe de la cour égyptienne à la cour grecque et à la cour mauresque, On reconnaît encore plusieurs de ces reproductions savantes : le Pœcile avec son double portique, le bassin sur lequel on imitait les fêtes de la ville égyptienne de Canope. M. Canina pensait que les principaux monumens imités dans la villa d’Adrien étaient disposés de manière à rappeler la situation relative des monumens originaux dans la ville d’Athènes ; mais il ne faut pas y chercher, je crois, une imitation trop fidèle. Spartien dit qu’Adrien donna des noms célèbres aux différentes parties de sa villa, ce qui n’indique point l’intention d’une reproduction exacte. La vallée de Tempe et surtout les enfers ne pouvaient être bien ressemblans.

Aujourd’hui ces imitations, alors modernes, de ce ; qui était déjà des antiquités sont devenues des antiquités à leur tour. Les curieux vont visiter la villa Adriana comme Adrien était allé visiter Canope ou le Pœcile. Grâce à lui, on trouve réunis dans un petit espace des débris qui rappellent un double passé. Ces débris, entremêlés de grands arbres et dominés par les montagnes de la Sabine, forment un ensemble plus pittoresque et plus poétique, je pense, qu’au temps d’Adrien. Ce qu’il y avait d’artificiel dans cette collection de copies et d’étiquettes a disparu. Les détails savans se perdent dans une émotion de ruines qui enveloppe tout d’un charme