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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/421

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son temps, il nous faut maintenant un théâtre nouveau, » comme s’il s’agissait de la coupe d’une robe ou d’un gilet. On a l’air de croire que le succès des œuvres dramatiques est une question de mode, et n’a rien à démêler avec le développement de la pensée humaine. Les écrivains voués à la discussion accueillent sans étonnement et sans dépit ces paroles, qui affirment la vérité en la déguisant ; ils savent que si la mode joue quelquefois un rôle dans le changement des formes littéraires, ce rôle n’est jamais de longue durée. Si le théâtre moderne de la France a fait son temps, ce n’est pas que le public soit avide de nouveauté, c’est que le théâtre moderne n’a pas tenu ses promesses. Qu’il les accomplisse, et le public ne demandera rien de plus. Les esprits chagrins qui étaient arrivés par l’étude à prévoir ce que nous voyons seront les premiers à faire amende honorable. Que la toile se lève sur un drame où la vérité humaine se concilie avec la vérité historique, ils ne protesteront pas. Leurs vœux seraient comblés, quelle raison auraient-ils de se plaindre ? L’image des lieux et des temps associée à l’image des passions, qui ne relèvent ni des temps ni des lieux, aurait de quoi satisfaire les plus difficiles.

Au temps de Lesage, le roman était l’image de la société ; aujourd’hui nous avons changé tout cela. À l’exemple des médecins novateurs imaginés par Molière, qui plaçaient le cœur à droite, nous avons interverti l’ordre naturel des choses, nous avons répudié les enseignemens du bon sens. Le roman n’est plus l’image de la société. Cette méthode vulgaire a fait son temps, et la société semble vouloir se modeler sur les personnages que nous offre le roman. On a pris au sérieux les types les plus extravagans créés par les écrivains modernes, et l’on rencontre des jeunes gens qui de bonne foi se croient à l’abri de tout reproche, parce qu’ils mettent fidèlement en pratique les préceptes posés dans un roman à la mode. Leur seul regret est de n’avoir pas encore trouvé l’occasion de s’élever jusqu’à la hauteur de leur modèle. Je n’invente rien, je me borne à transcrire ce que j’ai entendu. Si folle que soit cette pensée, il n’est pas permis de la révoquer en doute. Les désœuvrés de notre monde cherchent dans le roman une règle de conduite. La passion sincère est livrée aux plus cruelles épigrammes ; le dévouement est un objet de risée. Pour obtenir les applaudissemens, les natures les plus bienveillantes se parent d’une perversité menteuse, et mettent leur gloire à se calomnier. Le spectacle serait plaisant, si trop souvent il n’était digne de pitié, car à force d’imiter par forfanterie un méchant modèle, plus d’un arrive à se pervertir sérieusement. Le vice, qui n’était d’abord que sur les lèvres, finit par envahir le cœur, et le fanfaron de dépravation se trouve à son insu dépravé tout de bon. Il serait temps de revenir au procédé de Lesage et de peindre