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la pente où il s’est engagé, le pied glisse facilement, et je voudrais le voir revenir vers les sentiers où l’on marche d’un pas plus sûr. Il possède dès à présent tout ce qu’il faut pour émouvoir et pour charmer. Je lui souhaite seulement un plus vif amour pour la simplicité. Qu’il se défie des applaudissemens que les salons ne manquent jamais de prodiguer aux œuvres qui affectent leur langage, et si leur faveur lui fait défaut pendant quelques mois, il en sera dédommagé par l’approbation de juges plus sérieux et plus compétens. Maurice de Treuil et Mademoiselle du Rosier, pour l’élégance du langage, pour l’enchaînement des incidens, valent mieux que la Robe de Nessus ; c’est un progrès évident qu’il serait injuste de méconnaître[1]. M. Amédée Achard n’est pas un esprit du même ordre que M. Octave Feuillet, il n’a pas étudié comme lui les faiblesses du cœur ; mais quand il rencontre une donnée vraie, il sait en tirer parti : il pose habilement ses personnages, et engage le dialogue sans embarras. Si j’avais un reproche à lui adresser, ce serait de ne pas apporter un goût assez sévère dans le choix des idées qu’il développe ; on dirait qu’il se mêle trop souvent au mouvement de la vie, et néglige de se recueillir avant de prendre la plume. Les Buveurs d’Eau ; comparés à la Vie de Bohême, révèlent chez M. Henry Murger l’étude des bons modèles, et marquent dans sa vie littéraire un progrès évident ; Hélène et Lazare sont des récits traités avec un soin jaloux, et je regrette pour ma part que l’auteur n’ait pas ajouté quelques pages nouvelles à ses souvenirs de jeunesse. Les choses vraies sont si rares, qu’on doit les saisir avec empressement, et encourager en toute occasion ceux qui n’ont qu’à feuilleter leur passé pour nous offrir des tableaux émouvans. Quant à M. About, dont j’apprécie toute la vivacité, je crains qu’il ne se laisse aller à la dérive. Je ne crois pas qu’il ait de route tracée. Il suit le courant et aborde sans souci où le vent le pousse. Qu’il soit heureux en vivant ainsi, ou qu’il regrette parfois d’avoir vécu sans se préoccuper du lendemain, c’est une question qu’il ne m’appartient pas de trancher. Ce qu’il m’est permis d’affirmer, c’est que les pages signées de son nom nous permettent d’espérer des pages meilleures. Dès qu’il voudra se proposer un but déterminé et ne plus faire l’école buissonnière, il prendra sa place parmi les vrais écrivains ; à l’heure où je parle, c’est un improvisateur amusant.

Les œuvres que je viens d’étudier me suggèrent une conclusion que le lecteur n’aura pas manqué de prévoir. La génération nouvelle s’applique avec trop de persévérance aux parties épisodiques de la

  1. Mademoiselle du Rosier a paru dans la Revue du 15 avril 1856, Maurice de Treuil dans les livraisons du 15 septembre, du 1er  et du 15 octobre.