Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/482

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combinatoire. Ces derniers opuscules, quoi qu’il en soit, démontrent par un monument sensible, comme le remarque très bien M. de Careil, que Leibnitz avait étudié de très près les ouvrages de Platon, et que la source la plus haute de son inspiration est là.

M. Faucher de Careil cependant ne s’est pas borné à, publier les curieux écrits dont nous venons de donner le bien rapide sommaire, il les a fait aussi précéder d’introductions enrichies de notes qui lui font personnellement beaucoup d’honneur, et qui témoignent que chez lui l’intelligence du commentateur s’allie de la manière la plus heureuse au goût du bibliophile. Une de ces notes surtout, qui, par son étendue et l’importance du sujet qui y est traité, porterait plus justement le nom de mémoire, mérite d’être signalée à l’attention des métaphysiciens et des naturalistes : je veux parler d’une remarquable étude sur la loi de continuité qui termine le second volume, et dont il est intéressant de dire quelques mots.

On sait ce que Leibnitz entendait par la loi de continuité. La nature, suivant lui, ne fait pas de sauts. Tous les êtres qu’elle contient ne forment entre eux qu’une seule chaîne dans laquelle les différentes classes tiennent si étroitement les unes aux autres ou sont séparées par des différences si insensibles, qu’il est impossible de fixer précisément le point où quelqu’une finit ou bien commence. « Qui sait, disait-il par une prédiction de génie qui, peu d’années après lui, devait se réaliser, qui sait si l’on ne découvrira pas quelque jour des zoophytes, créatures équivoques entre la bête et la plante, qui combleront visiblement l’abîme que nous supposons exister entre le règne animal et le végétal ? « Cette grande vue l’avait charmé ; il y revient sans cesse dans ses écrits, et on l’y voit à chaque instant répéter que le principe de continuité est en physique une méthode aussi certaine et aussi puissante que l’est le calcul des différences en algèbre et en géométrie.

M. Foucher, dans sa note sur ce sujet, après avoir montré, à l’aide des textes tant anciens qu’inédits de Leibnitz, ce qu’il entendait précisément dire en s’exprimant ainsi, fait suivre cette exposition préliminaire, déjà par elle-même remarquable, d’un mémoire original sur le fond de la question, qui, au triple point de vue de l’histoire, de la critique et de l’analyse, nous a paru offrir un grand intérêt. Historiquement, M. Foucher de Careil prouve par des textes décisifs que la loi de continuité était connue d’Aristote, et que Platon ensuite l’avait poétisée à sa grande manière ordinaire dans sa théorie du perpétuel devenir. Au point de vue critique, il démontre fort bien que la loi de continuité, entendue comme l’entendait Leibnitz, n’a rien de commun avec l’idée du développement indéfini de la substance première, qui est l’âme du panthéisme. Analytiquement enfin, M. Foucher de Careil fait une application de ce fameux principe à la solution d’une des antinomies de Kant, qui révèle en lui une connaissance, et un usage assez rares des procédés les plus déliés de la dialectique. À tous ces titres, on le voit, le morceau dont nous parlons mérite d’être lu avec plus d’attention qu’on n’en accorde d’ordinaire aux préfaces ou aux appendices d’éditeurs ; mais puisque nous en signalons ainsi les qualités, nous sera-t-il permis de faire sur le fond du débat une réserve qui manque, à notre avis, au curieux travail de M. Foucher de Careil, et qui en compromet les conclusions ?

La grande idée qu’a eue ou qu’a fait revivre Leibnitz de concevoir une