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le sloop Macedonian, où leur arrivée fut annoncée par un salut de dix-sept coups de canon, les plénipotentiaires se rendirent à bord de la frégate amirale. On les conduisit dans toutes les parties du navire ; leur attention se porta principalement sur la machine, que l’on mit en marche, et sur l’artillerie. Ils écoutaient avec curiosité les explications qui leur étaient transmises par leur interprète, et qu’ils provoquaient eux-mêmes, sur le mécanisme de la vapeur, sur le tir des canons, etc., et on voyait, à leurs questions multipliées, que leur curiosité était intelligente. Les Japonais n’ont pas une grande réputation militaire, et les deux sabres qu’ils portent enfouis dans leur ceinture de soie brodée ne leur donnent pas une apparence bien terrible ; mais comment seraient-ils demeurés indifférens en présence de ces formidables engins de destruction, qui pouvaient, d’un jour à l’autre, être employés contre eux ? Il y avait là, pour les diplomates de Yédo, plus d’un grave sujet de réflexion, et sur leur physionomie égayée par l’appareil de fête qui les entourait, on eût surpris parfois la trace fugitive d’amers soucis. On se mit enfin à table. Les plénipotentiaires et les officiers supérieurs de l’escadre, ainsi que les interprètes, prirent place dans la cabine du commodore. Quant aux fonctionnaires et officiers subalternes qui composaient la suite, on avait disposé pour eux une table sur le pont, car les règles sévères de l’étiquette japonaise n’eussent point permis de les faire asseoir au même banquet que les princes. De part et d’autre, le repas fut des plus gais. Hayaschi conserva la gravité de son emploi : il se contenta de goûter à tous les mets, comme s’il voulait simplement se livrer à une étude sur la cuisine américaine ; mais il n’en fut pas de même de ses collègues, qui burent et mangèrent largement, à la grande satisfaction de leurs hôtes. Les flacons de liqueurs, et surtout le marasquin, furent vidés avec une remarquable rapidité. Les Japonais apprécièrent également le vin de Champagne. Le plénipotentiaire Matsusaki manifesta en cette occasion, un penchant décidé pour les idées européennes, et il se posa franchement en ami des vins étrangers. Il en vint même à ce point de gaieté qui inspire les idées tendres ; après avoir maintes fois bu à la santé des États-Unis et du Japon, il lui fallut embrasser le brave commodore. Sur le pont, la scène n’était pas moins pittoresque. L’entente cordiale se révélait par une lutte d’appétit et par un concert d’exclamations bruyantes qui étouffaient les sons harmonieux de la musique du commodore. Il y eut à la sortie de table un beau moment. Les convives tirèrent de leur poche de grandes feuilles de papier dans lesquelles ils enveloppèrent les restes du festin. Ils firent plats nets. La table fut littéralement mise au pillage. Il paraît qu’il en est toujours ainsi dans les repas du pays, l’usage permettant