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d’emporter tout ce qu’on n’a pas pu manger. En hommes prudens, les Japonais ont soin d’avoir toujours leurs poches pleines de papier : il y a le papier qui sert de mouchoir, le papier sur lequel on prend les notes, enfin le papier qui est destiné à recevoir les restes des plats. Les poches sont énormes.§Les Américains s’amusèrent beaucoup des manœuvres gloutonnes de leurs hôtes, qui les quittèrent dans l’état le plus heureux du monde, et emportèrent du Powhattan les souvenirs les plus agréables et un second repas pour le lendemain.

Au milieu de toutes ces fêtes, dans lesquelles l’intimité allait croissant, le commodore ne perdait point de vue l’objet de sa mission. Il ne suffisait point de désigner les ports où désormais le pavillon des États-Unis serait admis, il fallait encore décider si les citoyens américains seraient autorisés à établir au Japon une résidence permanente, s’ils pourraient se promener dans la campagne, si le gouvernement des États-Unis instituerait des agens consulaires, si le traité serait exécuté immédiatement ou dans quel délai. Chacun de ces points fut discuté avec opiniâtreté ; les plénipotentiaires firent une belle défense contre les prétentions du commodore, et ils réussirent à restreindre dans les plus étroites limites des concessions qui leur étaient successivement arrachées. Le traité, connu sous le nom de traité de Kanagawa, fut signé le 31 mars dans le pavillon des conférences, et la cérémonie se termina par un festin.

D’après le traité, les porcs de Simoda et de Hakodade sont ouverts aux bâtimens des États-Unis ; les Américains peuvent s’y procurer le bois, l’eau, les provisions, le charbon et autres articles dont ils auront besoin. Des garanties sont stipulées en faveur des naufragés. Les sujets des États-Unis résidant temporairement dans les deux ports ne doivent pas être soumis aux restrictions que subissent les Hollandais et les Chinois à Nagasaki, et ils ont le droit de circuler à une certaine distance des deux ports. Ils peuvent échanger des marchandises, en se conformant aux règlemens du pays, et seulement par l’intermédiaire des fonctionnaires japonais. Le gouvernement des États-Unis a la faculté d’instituer un consulat à Simoda, et il est assuré, quant au reste, d’obtenir le traitement de la nation la plus favorisée.

Ainsi les facilités commerciales concédées aux États-Unis se trouvaient réduites à la plus simple expression, et elles n’étaient pas de nature à ouvrir le marché du Japon. Le commodore, quoiqu’il s’estimât très heureux d’avoir amené le cabinet de Yédo à signer un engagement diplomatique, ne se dissimulait pas que le résultat des négociations ne répondrait pas entièrement à l’attente du peuple américain. On s’était imaginé à New-York que les murailles du Japon