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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/539

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tomberaient comme par enchantement à la voix des États-Unis, et que, s’il y avait résistance, les canons de l’escadre auraient bientôt fait de pratiquer une brèche ; on avait même raillé assez agréablement la pusillanimité ou la maladresse des Anglais et des Russes qui n’avaient pu encore se frayer ; la route vers Yédo, et les démocrates yanhees se glorifiaient à l’avance de la grande conquête que la civilisation allait remporter sous leur invincible drapeau. Le commodore, qui alliait à l’esprit de résolution naturel à sa race la froide raison que donne aux plus audacieux le sentiment de la responsabilité, comprenait bien que les braves de New-York pourraient être tant soit peu désappointés ; mais il avait accompli son devoir, et le but principal de sa mission était atteint. Le 4 avril, il envoyait à Washington le traité du 31 mars ; le 12, après avoir fait manœuvrer son escadre presqu’en vue de la capitale, il quitta la baie ; il visita successivement les ports de Simoda et de Hakodade, revint à Simoda le 7 juin, conféra de nouveau avec les plénipotentiaires sur l’exécution future du traité, et enfin le 28 il s’éloigna définitivement des rivages du Japon.

Je me suis appliqué à mettre en relief dans ce récit le caractère de la diplomatie japonaise en face de la diplomatie américaine. Dès l’arrivée de l’escadre, le cabinet de Yédo avait pris son parti, il était résigné à passer sous les fourches caudines des négociations ; mais il se promettait bien d’épuiser tous les délais, toutes les ressources de la plus subtile procédure avant de signer sa défaite. On a vu avec quelle fidélité ses plénipotentiaires ont obéi à ce mot d’ordre, et comment, par une défense habile et opiniâtre, ils sont parvenus à ne laisser entre les mains de l’envoyé des États-Unis qu’un semblant de traité ; Ils ont dû céder pourtant, et se départir, au moins en principe, de la vieille politique qui séparait presque absolument le Japon du reste du monde. L’avenir se chargera très prochainement peut-être de compléter le traité de Kanagawa. Les événemens dont la Chine est aujourd’hui le théâtre attirent l’attention de l’Europe vers l’extrême Orient. De gré ou de force, le Japon sera entraîné dans le mouvement universel qui tend à supprimer les barrières internationales partout où elles gênent encore l’invasion des idées modernes et les échanges du commerce ; La mission à laquelle demeure honorablement attaché le nom du commodore Perry aura ouvert la route qui doit conduire un jour la diplomatie européenne à la cour de Yédo.


C. LAVOLLEE.