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siégeait pour la première fois dans la chambre des bourgeois de Virginie, lorsque l’acte du timbre vint répandre dans toute l’Amérique une morne stupeur qui semblait annoncer le désespoir et l’impuissance (mai 1765). Tels étaient encore dans le sein de l’aristocratie virginienne les sentimens de piété filiale à l’égard de la mère-patrie, que les membres les plus considérables et les plus sages de l’assemblée restaient silencieux et perplexes, n’osant aborder le sujet de la consternation publique. Malgré sa popularité naissante, Patrick Henry se sentait encore novice, inconnu et mal à l’aise au milieu de cette assemblée de patriciens, et il hésitait à prendre l’initiative du débat. Cependant la fin de la session approchait, et la taxe allait être perçue sans que la chambre eût protesté contre l’usurpation du parlement. Il prit son parti, écrivit à la hâte quelques lignes sur un vieux livre de droit, puis, se levant gauchement, il proposa d’une voix mal assurée ces résolutions célèbres contre l’acte du timbre qui mirent le feu à l’Amérique : « Seule, l’assemblée générale de cette colonie a le droit et le pouvoir d’imposer des taxes aux habitans de cette colonie ; toute tentative d’investir de ce pouvoir une personne ou un corps quelconque autre que ladite assemblée générale tend manifestement à détruire à la fois les libertés britanniques et les libertés américaines. »

C’est par cette déclaration de principes que se terminait la proposition de Patrick Henry. De nombreuses interruptions accueillirent ses paroles ; un débat violent s’engagea. D’un couloir de la chambre, Jefferson assistait, curieux et inquiet, à cette lutte parlementaire, où les conseils des sages et des puissans vinrent se heurter contre la fougue révolutionnaire d’un jeune orateur sans position dans le monde, sans expérience, presque sans culture. Patrick Henry était de ceux que la contradiction excite et que le tumulte enhardit. Il se remit bientôt de son trouble ; s’anima peu à peu en s’entendant parler, s’abandonna à sa brillante imagination, et se redressant avec majesté, se dépouillant, pour ainsi dire, de sa laideur, et promenant sur l’assemblée un regard ardent et pénétrant, il l’entraîna à sa suite dans tous les détours d’une argumentation à la fois désordonnée et puissante, qui se résumait par de frappantes images ou de brusques explosions de colère et d’invective. « Il me semblait, dit Jefferson, entendre parler comme Homère avait écrit. Jamais en ma présence homme n’a parlé comme cet homme. » Il avait senti son cœur tressaillir d’enthousiasme en voyant son ami se lancer d’un bond jusqu’aux limites de l’insurrection, puis, averti par les clameurs de l’assemblée, s’y maintenir avec fermeté sans les franchir. « Tarquin et César ont eu chacun leur Brutus, Charles Ier a eu son Cromwell, et George III… — Trahison ! s’écria l’orateur de la chambre. — Trahison, trahison ! répétèrent de toutes parts les amis du gouvernement…