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ni l’abondance et l’ampleur de parole, ni la chaleur sympathique et l’enthousiasme soldatesque de Patrick Henri. C’était déjà un politique légiste, philosophe et homme du monde, l’esprit vif, net, actif, délié, fécond en argumens et en combinaisons, très généreux dans ses spéculations sur les droits de l’humanité, très sincère dans sa philanthropie, mais par nature plus décidé que dévoué, très hardi dans ses théories sur les droits des colonies, très confiant dans la justice et le succès de leur cause, mais sans aspiration forte vers l’indépendance, sans acharnement contre la couronne, sans fiel contre ses adversaires ; — point encore aigri par la lutte, mais trouvant déjà quelque plaisir à s’exercer aux petites machinations de parti ; — animé, séduisant, habile et ouvert dans ses rapports avec ses amis et ses affidés, quelquefois expansif jusqu’à l’indiscrétion dans le secret ; — en public, soit embarras, soit prudence, naturellement contenu, exposant alors ses idées non sans facilité et sans clarté, mais avec une sobriété de développemens oratoires qu’il fut bien obligé d’ériger en système.

Malgré la bienveillance que lui portaient les principaux meneurs de l’assemblée, ses débuts furent loin d’être brillans. La chambre se préparait à répondre au discours d’ouverture du gouverneur, lord Botetourt, et c’était sans doute en Virginie, comme cela est encore en Angleterre, l’usage de réserver aux jeunes membres la présentation du projet d’adresse, pour leur donner dès le début de la session une occasion de se produire. M, Pendleton, une des lumières de la chambre, invita donc Jefferson à rédiger, les résolutions destinées à servir de base à l’adresse. C’était une courtoisie de vétéran. « Mes résolutions, nous dit Jefferson, furent adoptées par la chambre, et Pendleton, Nicholas, moi et quelques autres, nous fûmes nommés membres d’un comité chargé de préparer l’adresse. Le comité me pria de la rédiger ; mais lorsque je lui présentai mon projet, on trouva qu’il suivait de trop près le texte des résolutions, et que les divers points n’étaient pas suffisamment amplifiés. M. Nicholas surtout le combattit, et fut chargé par le comité d’en faire un plus développé. Les amplifications ne manquèrent point au sien, qui fut adopté. Étant à la fois un très jeune homme et un très jeune membre, cette scène fit sur moi une impression proportionnée à la sensibilité de cet âge. »

Jefferson ne se découragea point cependant, et fit un peu plus tard, dans la même session, un nouvel essai de ses forces. Ce fut au service d’une noble cause à laquelle il ne voulut jamais renoncer, mais pour laquelle il aurait peut-être déployé dans la suite un plus grand zèle, si, à son entrée dans la vie, il n’avait failli apprendre à ses dépens combien il était compromettant de la défendre. « J’avais attiré, dit-il,