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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/562

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nombre de familles opulentes et accapareuses, sera rabaissée. Ils seront contraints à se tenir plus près des confins de la raison et de la modération qu’ils n’y sont habitués. Voilà tout le mal qu’ils auront à endurer. Cela leur sera bon dans ce monde et dans tous les autres. L’orgueil n’a été donné à l’homme que pour le tourmenter. »

Jefferson ne partageait pas ces passions haineuses ; mais un sentiment plus orgueilleux et plus révolutionnaire encore que celui de John Adams l’animait : le mépris du passé, la prétention de refaire la société à l’image de ses idées. Il appartenait à l’aristocratie virginienne, et il se proposait de la détruire, non pour se donner une satisfaction de vainqueur, non pour mettre les lois de son état en harmonie avec celles des autres parties de l’Union, mais pour se donner une satisfaction de logicien, et pour mettre le droit civil en harmonie avec l’idée qu’il se faisait du gouvernement républicain. « Quand je quittai le congrès en 1776, ce fut avec la conviction que tout notre code devait être revu et adapté à notre forme républicaine de gouvernement. Il était nécessaire de le corriger dans toutes ses parties, en ne tenant compte que de la raison. »

Par la raison, Jefferson entendait la sienne. Le gouvernement républicain peut régir et a régi en effet des sociétés profondément diverses. L’esprit de Jefferson ne concevait pas la république sans la démocratie, ni la démocratie sans la puissance souveraine et incontestée du grand nombre. Tout ce qui dans la société virginienne pouvait contenir et limiter cette puissance, tout ce qui n’en relevait pas directement, tout ce qui pouvait conserver une existence indépendante et propre fut sacrifié dans son plan de révolution. Il ne se borna point à proposer à l’assemblée de la Virginie le rappel des lois, tombées d’ailleurs en désuétude ; qui portaient atteinte au principe de la liberté religieuse ; il lui demanda la séparation absolue de l’église et de l’état, parce qu’un clergé qui tient de l’état son salaire n’est pas dans la dépendance immédiate des masses. Il ne se borna point à recommander la suppression du droit d’aînesse, qui portait atteinte à la liberté de tester ; il voulut annuler les substitutions par lesquelles les fondateurs de la Virginie avaient librement disposé de leurs biens et assuré la perpétuité de leurs familles, parce que les grandes fortunes héréditaires donnent un pouvoir que le peuple reconnaît, mais qui ne vient point de lui. Il Je n’ai pas la prétention, a dit Jefferson, de m’attribuer à moi seul le mérite d’avoir fait adopter ces mesures, j’eus dans le débat d’habiles coadjuteurs ; je me borne à rappeler que les mesures furent proposées et rédigées par moi. Je les regardais comme les divers élémens d’un système destiné à déraciner le moindre germe d’une aristocratie ancienne ou future et à poser les bases d’un gouvernement vraiment républicain. »