Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sous cette ouverture qu’il avait négligé de fermer ; c’était là, à deux pieds au-dessous de l’ouverture, qu’avait frappé la foudre. Il y a une heure encore, il tremblait à la pensée que la foudre pouvait tomber à cet endroit et qu’il serait obligé d’y monter. Tout un noir cortège de visions meurtrières, enfantées par le délire, était attaché pour lui à cette pensée. Maintenant tout ce qui l’effrayait tant était arrivé ; mais cette ouverture fatale, dont le souvenir lui donnait la fièvre, ne l’inquiétait pas plus que tout autre endroit de la tour ; il était là sur son échelle, sans crainte, sans vertige, et il n’y avait place dans son âme que pour un sentiment de généreuse énergie : il voulait sauver l’église et la ville d’une catastrophe imminente. Bien plus, cette circonstance, dont son inquiétude et ses scrupules lui avaient exagéré le péril, se trouvait être une chose heureuse et bienfaisante. L’eau qui s’était accumulée là pendant des semaines avait fini par se geler, et c’était elle qui empêchait la flamme de gagner du terrain, L’incendie ne s’étendait encore que sur un étroit espace ; la glace repoussait obstinément les petites flammes qui pétillaient au-dessous d’elle, et s’opposait à ce qu’elles formassent un foyer d’où elles se seraient élancées pour exercer leurs ravages. Si ce foyer s’était formé, nul doute que l’incendie n’eût dévoré la tour, et alors c’en était fait de l’église, de la ville peut-être, attaquées à la fois par le feu et par l’ouragan. Ah ! il avait besoin de la force que lui donnait cette pensée. L’échelle n’était plus balancée de droite et de gauche ; elle pliait, elle s’affaissait. D’où venait cela ? En supposant même que le crampon eût été mal fixé, — et Apollonius savait qu’il n’en était rien, — ce mouvement était inexplicable. Il comprit tout bientôt : l’échelle n’était pas suspendue au crampon ; aveuglé par les tourbillons de neige, il l’avait accrochée, sans s’en douter, à l’un des ornemens de fer-blanc qui garnissaient les rebords du toit d’ardoise. Son poids et celui de l’échelle faisaient fléchir de plus en plus ce soutien, trop faible ; encore quelques pouces, le fer-blanc allait céder tout à fait, et l’échelle glissait avec lui dans l’effrayant abîme.

« C’était le moment de déployer ces ressources de courage et de présence d’esprit qu’il avait si vaillamment retrouvées. Il n’hésita pas. Le crampon était à six pouces de la plaque de fer-blanc. En gravissant encore trois degrés de l’échelle, il pouvait saisir le crampon de sa main gauche, puis enlever l’échelle avec sa main droite et la fixer au crampon ! Aussitôt pensé, aussitôt fait. L’échelle est fixée. Sa main gauche quitte alors le crampon et va rejoindre la droite sur l’échelon ; les pieds s’y posent à leur tour ; il est sauvé ! À ce moment, les ardoises au-dessous de l’ouverture commencent à céder à l’action de la flamme ; elles brûlent, elles éclatent, et la matière incandescente, roulant, volant à droite et à gauche, va causer maints ravages ; mais Apollonius tire sa hache attachée à sa ceinture, et deux ou trois coups suffisent pour jeter en bas les ardoises, puis il donne le signal convenu ; la pompe se met à jouer. Il dirige d’abord le tuyau du côté de l’ouverture. Il augmente ainsi la résistance que le rebord du toit, avec ses morceaux de glace, opposait aux flammes pétillant par-dessous. L’expérience est bonne ; le jet de la pompe est vigoureux ; partout où il frappe l’ardoise, l’ardoise se brise en craquant. L’incendie siffle et rugit de colère sous les ruisseaux qui coulent du toit ; la pompe l’attaque à son tour, le frappe directement, et la violence des coups plutôt que la nature de l’eau finit par triompher. Apollonius