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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/63

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leur crie Apollonius. Vite ! l’eau ! les pompes ! C’est de ce côté-ci que le coup doit avoir porté ; je le sens au manque d’air et à l’odeur de soufre. Vite ! l’eau et les pompes à la porte de service ! » Le charpentier, qui met déjà le pied sur l’échelle, répond en toussant : « Mais cette fumée nous étouffe. — Vite ! Réplique Apollonius la porte de service nous donnera plus d’air que nous n’en voudrons. » Le charpentier, le maçon, le fumiste, portant les tuyaux et la pompé, s’élancent sur l’échelle ; d’autres les suivent avec des baquets d’eau froide, et l’un des ouvriers couvreurs avec un vase d’eau chaude. En de tels momens, l’homme qui a du calme, l’homme qui sait agir en se possédant inspire confiance à tous ; il parle, on obéit. Le chemin de planches qui conduisait à la porte de service était assez étroit ; grâce aux intelligentes dispositions d’Apollonius, tout y trouva place en un instant ; Apollonius était le premier du côté de la porte ; après lui venait le charpentier, puis la pompe, puis le maçon. La pompe était placée de telle façon que les deux hommes pouvaient la faire manœuvrer. Derrière le maçon se tenait un des ouvriers couvreurs, tout prêt à verser de l’eau chaude sur les tuyaux pour empêcher la glace de prendre. D’autres faisaient fondre de la glace et de la neige ; d’autres, établis de distance en distance sur l’échelle, formaient la chaîne et communiquaient avec la chambre des gardiens de la tour, où se trouvait de l’eau en réserve. Tout en expliquant au maçon et au charpentier son plan de campagne, Apollonius avait pris de sa main droite l’échelle à crampons, et sa main gauche tournait déjà la clé dans la serrure de la porte, de service.

« Tous nos gens étaient pleins d’espoir ; mais quand l’orage s’élança par la porte ouverte ; sifflant avec fureur arrachant au charpentier sa casquette, couvrant toutes les charpentes d’une fine poussière de neige, hurlant, se démenant, faisant vacarme du haut en bas, les plus intrépides désespérèrent de l’entreprise et furent sur le point d’y renoncer. Apollonius avait été obligé de tourner le dos à la porte pour respirer un peu. Sans perdre de temps, il s’accroche des deux mains au rebord supérieur de la porte, et, tournant toujours le dos au vent et à l’orage ; il penche la tête en carrière afin de voir ce qui se passe sur le faîte de la tour. « Rien n’est perdu ! » s’écrie-t-il aussitôt de toute la force de ses poumons, car il veut que ses compagnons l’entendent malgré la tempête et les roulemens du tonnerre. Il saisit alors le bout d’un des tuyaux tandis que le charpentier visse l’autre bout à la pompe, et il se l’attache à la ceinture. Il indique le signal qu’il donnera quand le moment sera venu de faire jouer les eaux. La main droite toujours cramponnée à la muraille, il se penche à demi hors de la porte, tenant son échelle de la main gauche et cherchant à la fixer à l’un des crochets du toit. Tentative insensée ! pensaient tout bas ses compagnons. La tempête n’allait-elle pas emporter l’échelle et l’homme dans les airs ? Heureusement pour Apollonius, un coup de vent tint l’échelle appliquée contre le toit. Il y aurait vu assez, grâce aux éclairs, pour trouver le crochet sans cette poussière de neige qui roulait du haut du toit, et tourbillonnait, et venait lui frapper les yeux. Il sentit pourtant que l’échelle tenait bien. Il n’y avait pas de temps à perdre ; il s’élança sur les échelons. Il dut se confier à la force de ses bras et à l’adresse de ses mains plutôt qu’à l’agilité de ses pieds, car l’orage ballottait l’échelle de droite et de gauche, comme une cloche lancée à pleine volée. En haut, un peu au-dessus des premiers échelons, des flammes bleuâtres pétillaient