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ne sont pas impunément discutés avec une rigueur absolue ; le public, habitué à les suivre sans défiance, se croit atteint lorsqu’on met en question la valeur de leur enseignement. Pour ma part, je ne trouve pas mauvais qu’on soumette leurs leçons à l’examen le plus sévère. Cependant, si la discussion est opportune, la mesure ne l’est pas moins. M. Taine paraît être d’un autre avis. Tout en conservant l’urbanité du langage, il ne garde aucun ménagement logique avec ses maîtres d’hier, dont il a fait ses adversaires d’aujourd’hui. Il n’a donc pas à se plaindre de l’accueil que reçoit son livre sur les Philosophes français du dix-neuvième siècle. Si le public n’a pas ratifié tous ses jugemens, ce n’est pas seulement parce que tous ses jugemens ne sont pas entourés d’une complète évidence, mais bien aussi et surtout parce qu’il n’a pas mesuré avec assez de clairvoyance la portée de ses argumens. Quand on se pose comme il s’est posé, on doit s’attendre à de rudes représailles. Dire que la philosophie enseignée de nos jours ne contient pas la vérité tout entière est chose fort permise assurément ; mais en pareil cas il serait expédient d’offrir la vérité en échange de l’erreur, et si la doctrine qu’on propose est éprouvée, jugée depuis longtemps, si la vérité qu’on donne pour nouvelle appartient depuis longtemps à l’histoire et n’étonne plus que les ignorans, on doit trouver tout naturel que les lettres n’acceptent pas sans répugnance la contradiction ainsi formulée. M. Taine croit posséder la vérité philosophique, il croit pouvoir réfuter victorieusement les leçons qu’il a entendues. Parmi ses lecteurs, il s’en est rencontré plus d’un en mesure de lui dire : « Ce que vous nous donnez comme nouveau, nous le connaissons depuis longtemps, et nous l’avons depuis longtemps jugé. Si vous n’avez rien de mieux à nous proposer, ce n’était vraiment pas la peine d’attaquer si vivement les opinions reçues. »

La question est maintenant très nettement posée, et j’espère que les hommes préparés par des études spéciales s’appliqueront à la résoudre. Quant à moi, je me borne à dire que la doctrine proposée par M. Taine comme supérieure aux doctrines qu’il combat ne se recommande pas précisément par la nouveauté. Cependant l’étude de sa méthode appliquée à la poésie, à l’histoire, à la philosophie, n’est pas dépourvue d’intérêt. Comme il apporte dans la discussion une grande sincérité, lors même qu’il se trompe, il réussit encore à se faire écouter. Les argumens qui semblent douteux sont présentés avec une habileté que je ne songe pas à contester. Ainsi M. Taine se trouve dès à présent dans une position excellente. Non-seulement ce qu’il écrit est lu avec attention, avec intérêt, mais il soulève des objections nombreuses, et la contradiction accroît l’importance des principes qu’il soutient. Saura-t-il profiter de cette fortune singulière ?