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la philosophie savent à quoi s’en tenir sur ce point ; mais comme cette connaissance n’est pas aujourd’hui très populaire, comme l’étude des sciences naturelles compte parmi nous plus de partisans que l’étude de la philosophie, il me paraît opportun d’appeler l’attention sur les conséquences de la doctrine enseignée par le savant hollandais ; Le Dieu de Spinoza, si toutefois c’est un Dieu, n’est pas séparé du monde. La création et le créateur sont confondus. Le monde n’est que la substance divine modifiée. Minéraux, plantes, animaux, ne sont que les formes diverses d’une substance unique, Depuis les étoiles jusqu’à la planète que nous habitons, il n’y a rien qui ne soit Dieu. Spinoza ne dit pas : Dieu est partout. Il dit en termes précis : Tout est Dieu ; tous les êtres qui nous entourent sont des transformations de la substance divine. Ou les mots employés par le savant hollandais ne signifient rien, ou ils signifient que Dieu n’existe pas comme personne. Or quel rôle peut-on assigner à ce Dieu impersonnel ? Amour, intelligence, volonté, sont des facultés que nous ne concevons pas dans un être ainsi défini. Un Dieu impersonnel est nécessairement un Dieu indifférent. Mais si la personne divine est abolie dès qu’elle se confond avec le monde et ne fait qu’un avec lui, comment arriverions-nous à concevoir l’existence de la personne humaine ? Si le monde entier est Dieu, l’homme ne peut revendiquer une existence individuelle dont la Divinité se trouve dépouillée. En abolissant la personnalité divine, Spinoza abolit du même coup la personnalité humaine. Dieu confondu avec le monde, privé d’amour, d’intelligence, de volonté, de prévoyance, indifférent aux événemens qui s’accomplissent, sans joie pour la vertu, sans haine pour le vice, sans récompense pour le dévouement, sans châtiment pour le crime, ne peut se concilier qu’avec l’homme sans liberté. Pourquoi l’homme s’affligerait-il de ses fautes ? ou plutôt comment arriverait-il à concevoir la pensée du bien et du mal ? Tout est réglé d’avance. Par qui ? Spinoza ne le dit pas, et comment le dirait-il, puisque Dieu et le monde ne sont qu’une seule et même chose ? Tous les êtres sont Dieu et ne peuvent mal faire » car ils sont soumis comme Dieu lui-même à des lois qui leur défendent de vouloir. Aimer ou haïr, trahir pu se dévouer, sont des mots vides de sens. La confusion de Dieu avec le monde abolit la Providence, et l’impersonnalité de Dieu abolit nécessairement la liberté humaine. Ni Providence, ni liberté, ni récompenses, ni châtimens, c’est donc à ces termes rigoureux que se réduit la doctrine de Spinoza. Toutes les interprétations proposées pour atténuer, pour corriger les conséquences de cette doctrine sont vaines et désavouées par la raison.

Que Spinoza dans la conception et l’exposition de son système ait