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mais d’un roman français, Huon de Bordeaux, qui fait partie de la collection connue sous le titre de Bibliothèque bleue. C’est l’auteur du libretto anglais, J.-R. Planché, qui indique cette source dans la préface du poème sur lequel Weber a composé un chef-d’œuvre. C’est là que Wieland aurait aussi puisé le thème de son Oberon, qui est connu de toute l’Europe, et que le musicien allemand avait particulièrement en vue. Oberon, roi des fées (the fairies) et des génies, s’est brouillé avec sa femme Titania, qu’il adore. Pour le consoler de la tristesse qu’il éprouve de cette séparation, ses sujets ne savent quels plaisirs inventer. Oberon a juré de ne revenir à sa chère Titania que lorsqu’on lui aura trouvé deux amans fidèles qui auront su résister à toutes les épreuves et tentations auxquelles ils seront soumis. Le confident et l’ami d’Oberon, Puck, lui fait espérer qu’il aura bientôt trouvé le couple incomparable, et il lui parle alors d’un certain chevalier, Huon de Bordeaux, et de la belle Rezia, fille du calife de Bagdad, Haroun-al-Raschid. Puck fait aussitôt apparaître dans une vision la belle Rezia au brave chevalier, qui s’enflamme à la vue de tant de charmes, et qui promet d’aller jusqu’au bout du monde pour conquérir un tel trésor. Sur cette donnée merveilleuse se développe une série d’incidens plus, ou moins dramatiques qui ne sont pas dépourvus d’intérêt et qui ont été admirablement saisis par le génie du musicien. On trouve dans le poème de J.-R. Planché un grand nombre de personnages épisodiques, parmi lesquels nous avons remarqué celui de Charlemagne. C’est pour le vieux ténor anglais Braham que Weber a écrit le rôle de Huon, si extraordinairement difficile à chanter. Quand nous disons que Weber a composé pour Braham la partie très importante de Huon, c’est une simple manière de parler. L’auteur du Freyschütz, pas plus que celui de Fidelio et de la Symphonie avec chœurs, n’admettait de restriction dans la manifestation de ses idées musicales. Il écrivait d’une manière absolue, exigeant des virtuoses, comme s’il s’agissait d’instrumentistes, une exécution scrupuleuse de tout ce qui était sur le papier. Dans une lettre que Weber écrivait à sa femme le 27 mars 1826, il dit entre autres choses : « Il a passé par la tête de Braham d’avoir une grande scène comme celle du Freyschütz en place de l’air du premier acte, qui est en effet trop haut, car il n’a pas été écrit pour sa voix. J’ai d’abord refusé sa demande ; mais comme Braham connaît très bien le goût du public anglais, dont il est l’idole, j’ai fini par céder. Je lui ai donc composé une grande scène de bataille (ein Schlachtengemœlde) que je ne mettrai pas dans la partition que je destine à l’Allemagne, car j’aime beaucoup l’air du premier acte, etc. » Le rôle de Rezia fut créé par miss Paton, dont Weber admirait beaucoup la belle voix, et qu’il considérait comme une cantatrice de premier ordre. Le journal anglais que nous avons déjà cité, l’Harmonicon, affirme que miss Paton perdit la santé par suite des efforts qu’elle fut obligée de faire dans le grand air du second acte : Vaste Océan !

Tout le monde sait que Weber avait le travail difficile. Son inspiration, lente à s’élaborer, éprouvait de nombreuses modifications avant de prendre la forme définitive qui devait la perpétuer dans la mémoire des hommes. On peut affirmer que les idées musicales qui constituent le fond de ses trois