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M. de Francalin embrassa Mme de Bois-Fleury et ne remua point.

« Ma chère tante, reprit-il, vous ne voudriez pas me conseiller de commettre une vilaine action ; eh bien ! celle d’épouser Mlle de Valpierre serait fort laide. Mlle de Valpierre est faite pour être aimée, et je sens que je n’ai pas le cœur au mariage.

Que signifie ce langage ? Voyons, parlez clairement. »

Georges prit entre ses mains les deux mains de sa tante : « Vous souvient-il d’un temps où un écolier, qui pouvait bien avoir seize ans, vint passer les vacances dans un beau château tout au bord de l’Oise, à quelques lieues d’ici ? »

Mme de Bois-Fleury rougit très-fort.

« Quel rapport voyez-vous entre ce château et ce qui se passe en ce moment ? Dit-elle.

— À cette époque-là, poursuivit Georges sans répondre directement à l’observation de la baronne, il y avait dans le château une femme qui était dans tout l’éclat de sa beauté : c’était moins une mortelle qu’une déesse. L’écolier qui vivait auprès d’elle était à peu près dans l’âge de Chérubin ; il en avait toutes les agitations. La personne qu’il voyait à toute heure fondait en un seul amour tous ces amours divers que le page de la comédie éprouvait pour la comtesse, pour Suzanne, pour Fanchette. Il avait des tressaillements subits quand il rencontrait sa main ; il ne pouvait la voir et l’entendre sans pâlir ou rougir. Quels trésors n’avait-il pas amassés de bouts de rubans, de fleurs un instant caressées par elle, de gants perdus ! Comme il les embrassait quand personne ne pouvait le surprendre ! Un soir, soir lumineux et d’impérissable mémoire, il la rencontra seule dans un jardin ; elle avait une robe blanche et les bras nus, elle venait de perdre une rose qu’on voyait flotter à la surface d’un ruisseau. Quels doux mouvements pour l’atteindre, et quels légers cris ! Elle fit signe à l’écolier, qui d’un bond saisit la fleur et la lui présenta ; mais à la vue de tant de grâce, animée et comme embellie par la course, il eut comme un éblouissement. « Ah ! je vous aime, je vous aime ! » s’écria-t-il en couvrant ses mains et ses bras de baisers brûlants. « Georges ! » dit-elle. À ce mot, la fièvre de l’écolier tomba ; il devint pâle et s’échappa en courant. Le lendemain, il n’osait regarder celle qu’il avait offensée. Cependant il rencontra ses yeux : il y avait dans leur douce clarté plus d’intelligence que de colère ; et puis il tremblait tant ! Ah ! si pour elle il eût fallu se jeter sous la roue d’un moulin, il s’y serait précipité tête baissée ! Eh bien ! ce qu’il éprouvait alors, cet écolier, à présent qu’il a âge d’homme il l’éprouve encore ; mais un autre sentiment a remplacé le sentiment qu’il ne pouvait ni combattre ni avouer. »

Georges raconta alors à Mme de Bois-Fleury toute son histoire, sans rien omettre et sans rien cacher, avec cette chaleur et cet entraînement