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nous reste, et, quand le moment de la retraite est venu, se retirer paisiblement et avec douceur, comme une olive mûre, en tombant, bénit la terre qui l’a portée et rend grâce à l’arbre qui l’a produite. » Ceci ne dépasse pas les limites du stoïcisme ; seulement c’est le stoïcisme attendri par un principe de douceur qui n’est pas en lui, et vient d’ailleurs. Marc-Aurèle est plus près encore du christianisme quand il dit : « Sers Dieu et fais du bien aux hommes. » Il est presque tout à fait chrétien quand il prescrit la douceur, l’humilité, la chasteté, la soumission à la volonté divine, enfin la prière. Et cet homme, chrétien par le cœur, était chrétien par ses actes. Imitant Nerva, devançant saint Paulin et saint Ambroise, il vendit ce qu’il avait de plus précieux, des vases de prix, ses vêtemens de soie, ceux de sa femme, pour que la guerre qu’il allait entreprendre ne fût à charge à personne. Ce même homme ne comprit pas le christianisme, dont il prêchait et pratiquait les enseignemens. Après avoir dit : « Combien est heureuse l’âme qui est toujours prête à se séparer du corps ! » il a pu ajouter, abusé par une incroyable prévention : « Mais il faut que cette bonne résolution vienne de notre propre jugement et non d’une opiniâtreté obstinée, comme chez les chrétiens. » Hélas ! certains chrétiens devaient à leur tour méconnaître chez ceux qui ne seraient pas de leur communion les vertus dont ils donneraient eux-mêmes l’exemple.

Ce qui est inexcusable chez Marc-Aurèle (l’oppression l’est toujours), c’est d’avoir persécuté ou au moins laissé persécuter ces chrétiens auxquels il aurait dû tendre la main comme à des frères, n’eussent-ils même été à ses yeux que des frères égarés. C’était dans tous les cas contraire à sa propre maxime, si vraie, si chrétienne elle-même, bien que trop souvent oubliée : « Ceux qui ignorent la vérité sont dignes de compassion. » Je voudrais pouvoir croire à une lettre de Marc-Aurèle dans laquelle il aurait dit qu’il fallait absoudre les chrétiens mis en jugement et punir leurs accusateurs. Malheureusement le doute est ici trop permis. L’égorgement des martyrs de Lyon, saint Pothin et l’héroïque sainte Blandine à leur tête, d’autres martyrs encore, sera toujours un sujet d’affliction pour ceux qui aiment à honorer la vertu là où ils la rencontrent et qui la voudraient toujours pure. Tout ce qu’on peut supposer, c’est que ces horreurs s’accomplirent loin des yeux de Marc-Aurèle, que la guerre retint longtemps aux frontières. Cependant c’était un prince vigilant, qui donnait la plus grande attention à tout ce qui se passait dans son empire : il ne put ignorer ce qui se faisait à Lyon et ailleurs, il dut au moins le tolérer. En présence de cette déplorable inconséquence d’un esprit si élevé, de cette injuste cruauté du plus humain et du plus équitable des hommes, il ne reste qu’a