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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/795

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de la nature qui s’entendent pour le faire vivre ; mais il n’est point animé par un principe intérieur : il n’a qu’une vie machinale. J’ai perdu mon âme. » Telle était la singulière théorie qu’il s’était faite sur son être. Le point de départ de son illusion était son extrême faiblesse : il se sentait mourir, et, par cette exagération commune à la folie et au rêve, il croyait que le moi avait disparu en lui, parce qu’il le sentait s’évanouir. Ici encore la conscience subsistait, et c’était l’imagination qui s’égarait. C’est parce qu’il sentait le principe de la vie s’affaiblir qu’il croyait avoir perdu, ne s’apercevant pas de la contradiction qu’il y avait à dire : Pour moi, je n’ai plus de moi. — Il est inutile d’insister pour établir que l’imagination est une des facultés intellectuelles qui durent et se conservent chez les aliénés. Seulement ils ont plutôt l’imagination passive que l’imagination créatrice. On a remarqué que les poésies faites par les aliénés : sont pour la plupart détestables.

Faudrait-il conclure de toutes ces observations que le fou n’est pas plus fou que l’homme raisonnable ? C’est là un paradoxe qu’il faut laisser aux sceptiques, et auquel certains médecins se sont quelquefois trop complu. Par exemple, M. Leuret, homme éminent d’ailleurs, s’évertue à démontrer, dans ses Fragmens psychologiques sur la folie, qu’une certaine aliénée, qui croyait qu’un concile d’évêques se tenait dans son ventre, était dans le même état d’esprit que Descartes imaginant que le siège de l’âme est dans la glande pinéale. La seule différence qu’il y voit, c’est que l’aliéné ne sait pas trouver de raisons en faveur de son opinion, et que le philosophe en trouve toujours. Ce sont là des jeux d’esprit. Il est vrai qu’en toutes choses, les limites sont ce qu’il y a de plus difficile à déterminer. Il y a deux phénomènes de l’âme avec lesquels on est sans cesse tenté de confondre la folie : c’est l’erreur et la passion. Il faut pourtant l’en distinguer, car, comme tous les hommes se trompent et que tous ont des passions, ils seraient donc tous fous à quelque degré. Or, si tout le monde est fou, personne ne l’est. Lequel de nous aurait le droit de dire à un autre homme : Vous êtes plus fou que moi ? Si l’aliéné est un homme qui se trompe, l’homme de génie, qui souvent se trompe plus que les autres hommes et d’une manière plus extraordinaire, est un fou. Si l’aliéné est, comme on l’a dit encore, un homme possédé d’une passion extrême, le criminel est aussi un fou, car on ne voit point de crimes commis sous l’empire d’une raison modérée. Il faut prendre garde d’étende tellement le cercle de la folie, que l’on soit obligé d’y comprendre les deux phénomènes les plus étonnans de l’âme humaine : d’une part le crime, et de l’autre le génie.

Quelque soit le critérium dont on se serve pour distinguer la