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Il n’est pas facile cependant d’obtenir des aliénés qu’ils se livrent au travail, surtout au travail des champs. D’abord beaucoup d’entre eux n’y sont pas propres, soit à cause de leurs habitudes antérieures, soit à cause de l’affaiblissement de leur constitution ; mais ceux mêmes qui sont capables de s’y livrer n’y vont d’abord qu’avec répugnance. Toute occupation est une fatigue pour un aliéné. Rien ne lui coûté plus que de s’arracher à ses contemplations immobiles ou à la turbulente agitation de ses pensées ; C’est donc déjà une conquête que d’obtenir d’un malade qu’il aille au travail. Aussi, pour l’exciter, on ajoute à ce travail l’appât de rémunérations pécuniaires et alimentaires. Rien de plus juste, car enfin on ne doit exiger rien pour rien ; rien aussi de plus utile : on réveille de la sorte l’intérêt personnel, qui est un élément de la raison ; on entretient dans l’esprit de l’aliéné l’idée de justice et d’équité, de proportion entre le travail et la récompense ; on l’intéresse à la vie ; on lui procure même une petite ressource pour le moment de la guérison. Chaque malade a son budget et en quelque sorte sa caisse, dont il n’a à sa disposition qu’une faible partie pour ses menus plaisirs ; le reste lui est réservé à titre de pécule pour sa sortie, où même pour les besoins de sa famille[1].

Outre les travaux agricoles, qui ne peuvent occuper qu’un certain nombre de bras, il y a à Stéphansfeld, comme dans la plupart des grands asiles, des ateliers pour divers métiers. Le travail sédentaire vaut moins que le travail des champs, et cependant il est de beaucoup préférable à l’oisiveté : il occupe le malade, il le distrait, il le soumet à une certaine, discipline, il l’entretient dans la pratique de son métier, si c’est un artisan, et enfin il est aussi l’objet d’une certaine rémunération.

Les femmes ne vont pas aux champs, mais elles sont occupées dans les jardins à sarcler et à récolter les légumes. Elles aident quelquefois à la fenaison, sous la surveillance des sœurs. De plus, elles ont de grands ateliers de travail : les unes filent, les autres tricotent ; il en est qui cousent ou brodent. Chacune est à sa place ; on leur impose le silence, mais ce n’est pas une règle absolue ; car une discipline trop stricte serait aussi fâcheuse que l’anarchie. Une ou deux sœurs sont à la tête de chaque salle, où, par un mélange de douceur et de fermeté, elles maintiennent l’ordre le plus parfait sans blesser et sans irriter les aliénées.

Il faut compter encore les travaux domestiques, particulièrement confiés aux convalescentes. Les unes sont à la cuisine, les autres à

  1. Chaque aliéné pauvre sait d’ailleurs que lorsqu’il sera guéri, l’œuvre du patronage, fondée à Stéphansfeld dès 1842, viendra en aide à sa misère jusqu’à ce qu’il ait regagné la confiance et retrouvé du travail.