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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/802

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convenance, un certain empire sur soi-même. L’aliéné est flatté que l’on veuille converser avec lui ; il fait plus, ou moins d’efforts pour être ou pour paraître raisonnable. Il l’est même nécessairement plus en conversation que livré à lui-même ; il faut qu’il compte avec son interlocuteur, et qu’il parle jusqu’à un certain point son langage. On observe que des malades qui spontanément ne disent que des choses inintelligibles répondent cependant juste à certaines questions. Il y a dans tout aliéné un reste de raison ; seulement cette raison est trop faible pour lutter contre le désordre qui a envahi toutes les facultés, elle ne réagit pas, et paraît entièrement étouffée. Qu’elle soit enfin provoquée par une conversation raisonnable, cette raison vacillante fait effort pour se mettre au diapason de celui qui parle. Il semble qu’il y ait là une lointaine application de cette loi de la sympathie, observée par Adam Smith, selon laquelle tout homme tend toujours plus ou moins à se rapprocher de l’état d’esprit de celui qui parle. Lorsque le malade écrit, on remarque qu’il commence souvent d’une manière raisonnable ; ce n’est que peu à peu que sa pensée s’éloigne de la ligne droite et finit par se perdre dans un délire complet. Il en est de même dans la conversation. Les premières phrases ou au moins les premiers mots sont en rapport avec les questions, et ne manquent pas de sens ; le délire ne vient qu’après. Si l’on arrête ce délire par une nouvelle observation, on peut obtenir encore une réponse demi-raisonnable, et en faisant passer ainsi le malade par une suite de secousses, on imprime à son esprit une tendance heureuse qui se soutient plus ou moins, selon que l’action est plus forte ou plus souvent répétée.

On ne saurait croire combien un seul mot, bien ou mal appliqué, peut avoir d’influence sur un esprit dérangé. Sans doute, lorsque la folie est très ancienne, très invétérée, et présente peu de chances de guérison, la conversation n’est plus guère qu’une distraction ; mais la folie n’est pas toujours absolue, inflexible, inattaquable. Dans le commencement surtout, l’aliéné, on l’a vu, passe par des phases diverses de doute et de confiance ; il se demande s’il a raison ou s’il a tort, si c’est lui qui se trompe pu les autres. Ces hésitations peuvent avoir lieu sans se trahir au dehors, car l’aliéné est plein de défiance, et il craint, ide s’engager avec vous par un aveu. Ces troubles intérieurs n’en existent pas moins. Un mot sévère peut jeter le fou dans l’anxiété et le mettre sur la voie de la triste lumière qui doit se faire dans son esprit pour rappeler son bon sens. Au contraire un seul mot d’encouragement et de complaisance prend à ses yeux la proportion d’une adhésion explicite. Vous lui donnez raison, il s’arme à ses propres yeux de cette connivence apparente, il s’enivre de votre approbation, et, les raisonnemens les plus pressans, les insinuations