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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/803

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les plus habiles ont bien de la peine a triompher de cette première concession que vous avez crue sans péril.

Qu’il me soit permis d’exprimer ici l’intérêt que j’ai ressenti en écoutant plusieurs conversations du directeur de Stéphansfeld avec les malades. Une bienveillance parfaite mêlée d’une douce et fine ironie, un milieu juste entre une complaisance extrême qui, en caressant l’illusion des aliénés, envenimerait leur mal et le rendrait incurable, et une dureté méprisante qui enflammerait leur colère et irriterait leur conviction, un art heureux et délicat d’insinuer le vrai sans l’imposer, un respect admirable de la dignité de l’homme dans le malade le plus abaissé, tels sont les traits principaux de cette méthode de conversation, qu’on peut appeler à bon droit une méthode socratique. Amener le fou à trouver lui-même étranges ses propres pensées, à revenir au vrai, ne fût-ce qu’un instant, je dirai plus, l’amener à dissimuler sa folie, ce n’est pas sans doute une guérison, mais c’est une conquête sur le mal, et il en est de la folie comme du vice : si l’on ne peut pas obtenir le plus, il faut se contenter du moins.

Nous rencontrons ici une question très délicate et très importante : faut-il raisonner avec les fous ? Quelques savans et parmi eux un célèbre médecin allemand, M. Ideler, ont cru que l’on pouvait combattre la folie par le raisonnement. Les médecins français ont fait une vive opposition à cette doctrine, et l’on ne saurait nier que le raisonnement ne soit un assez mauvais moyen de guérir un fou. Il est si rare de convertir un homme, même raisonnable, par le raisonnement, qu’une telle guérison de la folie serait un véritable prodige. Faut-il en conclure qu’il soit absolument inutile de raisonner avec les fous ? Je ne voudrais pas l’affirmer. Sans doute on peut rencontrer un esprit naturellement dialecticien qui ait plus de logique que son contradicteur, et si le médecin est battu par son malade, tout est perdu ; mais l’aliéné a rarement une telle subtilité. Presque toujours il élude le raisonnement, ou il se tait. Dans les deux cas, il est évidemment embarrassé, il se sent le plus faible ; votre présence le gêne et le contrarie. Renouvelez très souvent la même expérience, harcelez-le de toutes les façons ; ce sentiment perpétuel d’infériorité qu’il éprouvera en présence d’un homme plus raisonnable que lui le mettra sur la voie de cet aveu si essentiel à la guérison : « Il pourrait bien se faire que je fusse fou. » Ce n’est pas là certainement un résultat à dédaigner.

S’il est quelquefois utile d’attaquer la folie en face et de la combattre par la discussion, il vaut mieux d’ordinaire la prendre de biais et s’attaquer au sentiment ou à l’imagination : c’est ce qu’on appelle la diversion morale. La religion bien employée, est par exemple