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beaucoup plus hommes que Râma. Au moment où ils paraissent sur la terre, on sent que l’âge de fer, — ou l’âge du vice, comme l’appellent les Hindous, — va bientôt commencer. Les Pândavas, tout pieux qu’ils sont, ne sauront point conserver dans leurs cœurs le calme inaltérable qui élève Râma au-dessus des mortels. Entraînés par la fougue des passions, l’amour effréné du jeu les précipite dans toute sorte d’aventures et de malheurs. Sur le champ de bataille, ils se montrent terribles comme Achille, avides de vengeance, loyaux et courtois par momens comme de vrais chevaliers, parfois aussi acharnés à combattre, frappant avec le glaive, avec la massue, avec la hache, et foulant l’ennemi sous les roues de leurs chars. La longue histoire des cinq fils de Pândou et le récit de leurs démêlés avec les cent fils de Dhritarâchtra, leurs cousins, forment le sujet du Mahâbhârata. Une foule de légendes anciennes que les compilateurs y ont rattachées embarrassent l’action et grossissent l’ouvrage au-delà de toute mesure : le poème n’a pas moins de deux cent mille vers. Comment s’orienter dans ce dédale ? Comment suivre à travers cette épopée gigantesque, où tant d’épisodes s’entrecroisent, la marche de tant de guerriers qui se distinguent les uns des autres par des traits essentiels ? Comment surtout donner dans une courte analyse une idée de cette haute poésie, de ces grandes images, de ce style éminemment épique, abondant jusqu’à l’exubérance, toujours animé, toujours soutenu par l’élévation de la pensée ? Un volume ne suffirait point à qui voudrait offrir au lecteur européen une réduction tant soit peu exacte du plus considérable monument littéraire qui existe dans le monde. Je me bornerai donc à étudier la physionomie des fils de Pândou, — comme j’ai essayé de le faire ; pour Râma[1], — au double point de vue de la réalité et de la légende, en cherchant à préciser quel était l’état de la société indienne à cette époque lointaine, et comment le brahmanisme a édifié autour des cinq héros un poème à la fois religieux et militaire.


I. – L’éducation des princes. – Le tournoi

Le Râmâyana est comme une peinture de l’Inde au matin de sa civilisation ; on y respire le calme et la fraîcheur des premières heures du jour. Dans le Mahâbhârata, cette civilisation est arrivée à son midi, elle penche même déjà vers son déclin, et l’on sent que la race aryenne s’est altérée par le contact avec les populations étrangères, comme aussi par l’influence d’un climat violent. Les intérêts hu-

  1. Voyez sur Râma et le Râmâyana la livraison du 1er janvier 1857. Les autres articles de cette série ont paru dans les livraisons du 1er mai et du 1er juillet 1856.