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parle plus haut que la fiction. Le brahmanisme cherche encore à maintenir les principes de la vertu, de la justice et de la modération sur la terre ; mais l’humanité, moins docile à ses enseignemens, se laisse entraîner à la fougue de ses passions : la voix des vieillards ne prévaut plus qu’à grand’peine dans les assemblées. Sur tout ce long récit pèse une fatalité inexorable ; dans ce ciel troublé par de fréquens orages, il n’y a plus de sérénité, et la confiance dans l’avenir semble manquer à tous ces rois qui se gênent et se portent mutuellement ombrage. Le vieux Dhritarâchtra comprend enfin qu’il lui reste à réparer un grand crime dont il a été le témoin et presque le complice. Les malédictions prononcées par Bhîmaséna l’ont fait frissonner, il prévoit de grands maux. Rappelant en sa présence Draopadî, encore frémissante des insultes qui lui ont été prodiguées, il lui permet de demander ce qu’elle veut. Elle réclame la liberté des frères Pândavas avec la sienne. Que les cinq héros puissent retourner chez eux avec leurs armes et leurs chars, et elle sera contente. Ainsi revient à flot cette royauté qui avait un instant disparu dans l’abîme. Une seconde fois les Pândavas viennent jouer aux dés dans l’espoir de prendre leur revanche. Vaincus encore dans ce genre de combat, auquel ils sont d’autant plus inhabiles que leurs adversaires emploient la fraude, les héros sont condamnés à douze années d’exil. Durant ces douze années, ils devront vivre dans la forêt, ne point combattre et disparaître de ce pays d’où la haine et la jalousie de leurs cousins, les fils de Dhritarâchtra, voudraient les expulser pour toujours.


V. – La razzia.

Suivre les Pândavas dans leur second exil, ce serait entreprendre un long voyage à travers les contrées de l’Inde les plus célèbres et visiter tous les lieux de pèlerinages consacrés par les légendes. Le poème devient ici d’une élasticité extrême ; les récits les plus divers s’y entassent sans beaucoup d’ordre, et les héros n’ont souvent d’autre rôle que d’entendre raconter dans la forêt, par les solitaires et aussi par des êtres surhumains, de grandes histoires, magnifiquement écrites, mais étrangères à l’action principale. Cependant les cinq fils de roi, redevenus errans et cachés de nouveau sous l’habit de novices, ne s’éclipsent jamais complètement ; comme le soleil voilé par la brume, ils se font jour par endroits et dardent leurs rayons éblouissans. Cette clarté ne se montre nulle part plus vive que dans un épisode guerrier, plein d’animation, qui a pour titre l’Enlèvement des vaches.

Depuis près de douze ans déjà, les fils de Pândou vivent dans la