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retraite. Leur ennemi Douryodhana, qui voit avec inquiétude arriver le terme de l’exil qu’il leur a imposé après les avoir vaincus au jeu, envoie partout des espions pour découvrir leurs traces. Les recherches sont vaines ; on ne peut recueillir aucun indice sur la route qu’ils ont suivie. Les cinq frères n’étaient pourtant ni très loin d’Hastinapoura, ni réfugiés dans une impénétrable forêt. Ils demeuraient dans le propre palais de Virata, roi de Matsya[1], où ils occupaient, sous des noms supposés, divers emplois inférieurs : Ardjouna, déguisé en eunuque, vit au milieu des femmes, et dans le palais on l’appelle Vrihahnala. Sur ces entrefaites, les Kourous, et Douryodhana à leur tête, s’entendent avec les chefs des Trigartiens[2] pour enlever les riches troupeaux du roi de Matsya. Les Trigartiens ont été repoussés et battus ; mais les troupeaux restent au pouvoir des Kourous. Le chef des bergers est accouru dans la ville pour annoncer au roi que la victoire demeure incomplète, et à peine entré dans le palais, il rencontre Bhoûmimdjaya, fils du roi, Il qui il raconte les détails de la journée.

« Soixante mille vaches te sont enlevées par les Kourous, lève-toi pour aller reconquérir tes troupeaux qui sont ta richesse, ô prince glorieux ! — Ô fils de roi, si tes intérêts te sont chers, marche au plus vite, pars toi-même, car le roi des Matsyens, ton père, n’a rien confié ici à ta garde, — car le roi ton père fait ton éloge au milieu de l’assemblée ; il dit : Mon fils est en tout mon égal ; courageux, espoir de ma race, habile à lancer les flèches, mon fils est un vaillant guerrier ; qu’elle soit donc véridique cette parole prononcée par ce souverain. — Fais revenir les troupeaux après avoir défait les Kourous, consume leurs armées par le feu terrible de tes flèches. — Avec tes traits au talon d’or, à la pointe recourbée, lancés par ton arc, perce les rangs des ennemis, comme le conducteur d’une troupe d’éléphans pique la troupe qu’il pousse devant lui[3]. »

Ainsi parle le chef des bergers ; il voudrait que Bhoûmimdjaya attelât à son char de guerre ses chevaux blancs, et qu’il déployât sa bannière, sur laquelle brille un lion d’or. Le jeune prince, qui est poltron, fait le faux brave. Il irait au plus vite prendre part au combat, il mettrait l’ennemi en déroute ; malheureusement son cocher a péri dans une rencontre avec les Trigartiens, et il est forcé de rester parmi ses femmes. Quel dommage ! En le voyant paraître, terrible et triomphant dans la mêlée, les Kourous épouvantés fuiraient au plus vite en s’écriant : C’est Ardjouna en personne ! Or Ardjouna, caché sous le déguisement d’un eunuque danseur, a entendu

  1. Les provinces actuelles de Dinadjpour et de Rangpour.
  2. Pays du nord-ouest de l’Inde, que l’on suppose être le Lahore de nos jours.
  3. Goharanaparva, lect. 35, vers 1,158 et suiv.