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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/838

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ces bravades ; il envoie la Draopadî dire au jeune prince que l’eunuque Vrihannala (c’est le nom qu’il a emprunté) a été jadis le propre cocher d’Ardjouna, et qu’il s’offre à conduire le char au milieu de la mêlée. L’offre est acceptée ; le faux eunuque attelle les chevaux, et les lance au grand galop contre les hordes des Kourous. La vengeance l’anime ; il brûle de prendre sa revanche, car voici que les douze années s’achèvent, et il est relevé de son serment. Bientôt paraissent à l’horizon les troupes ennemies qui s’agitent comme de grandes vagues, la poussière qui s’élève sous les pieds des chevaux et des éléphans monte en serpentant vers le ciel.

À cette vue, le fils du roi, Bhoumimdjaya, est saisi de crainte : « Je n’ose attaquer les Kourous, dit-il d’une voix dolente ; je sens un frisson par tout mon corps ! » Et dans son effroi il répète les noms des redoutables combattans qui commandent l’armée ennemie sous les ordres de Douryodhana et de ses cent frères. Il se plaint de ce que son père a emmené avec lui tous ses soldats ; il n’a pas même ses gardes. Faible enfant, peu habitué aux fatigues de la guerre, que peut-il faire seul contre tant de héros illustres ?

« La frayeur te donne un air misérable et capable d’augmenter la joie de l’ennemi, répond Ardjouna, et pourtant les Kourous n’ont encore accompli aucun exploit sur le champ de bataille. — Tu m’as dit toi-même : Conduis-moi contre les Kourous, et moi je te mènerai là où flottent leurs nombreuses bannières ; — au milieu de ces vautours voraces, de ces Kourous pillards, qui sont venus combattre sur la terre, je te lancerai, ô guerrier ! — Après avoir promis aux femmes, aux hommes aussi, de te conduire en héros, et cela avec jactance, arrivé sur le champ de bataille, tu ne voudrais plus combattre ! Et moi, appelé à l’office de cocher sur les recommandations d’une femme du palais, je ne puis, sans avoir repris le butin, rentrer dans la ville… — Que les nombreux Kourous enlèvent, si bon leur semble, nos troupeaux ! répond le jeune prince ; que les femmes, que les hommes aussi se rient de moi, ô Vrihannala ! — Combattre n’est pas mon affaire ; que les vaches s’en aillent… J’ai peur ! — Ayant dit ainsi, il se sauva tout effrayé, après avoir sauté à bas du char, le prince aux pendans d’oreilles, perdant avec la fierté tout sentiment d’honneur, emportant son arc et ses flèches. — Non, s’écria Ardjouna, le devoir que les héros ont transmis aux kchattryas, ce n’est pas de fuir ; il vaut mieux mourir dans le combat que de fuir épouvanté. »

Est-il possible de peindre mieux le misérable état d’un esprit égaré par la peur ? Bhoûmimdjaya fuit même avant d’avoir entendu siffler une flèche. Ardjouna s’élance à la poursuite du jeune prince, et ses cheveux, qu’il a laissés croître pour se mieux déguiser, se délient par la rapidité de sa course. Dans l’armée ennemie, on a remarqué cette étrange figure de l’eunuque conduisant un char de