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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/894

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on met en regard de tels résultats les agitations de cette même année 1856, il est permis de s’en étonner, on a lieu de croire que les mouvemens politiques n’entravent pas en Espagne le développement matériel au même degré que dans d’autres états. Ces commotions intérieures ne pénètrent plus en effet au cœur même du pays, et n’affectent guère que les classes les plus élevées, principalement celle des fonctionnaires, assez nombreuse, il est vrai, pour donner à tout changement l’apparence d’une révolution. Si le peuple n’est pas troublé dans l’ordre des idées, il l’est encore bien moins dans l’ordre des intérêts, et cela par la seule raison que ces intérêts n’existent pas. On conçoit la perturbation qu’apporte toute commotion un peu vive dans des populations adonnées à l’industrie et au commerce. Les souvenirs de février 1848 nous ont révélé à la fois la profondeur des blessures qui en résultent et la vivacité de la réaction qui s’ensuit. En Espagne, où l’industrie et le commerce sont dans un état peu avancé, les révolutions, si elles n’ont pas dans la puissance des intérêts le contre-poids qui ramène bientôt le mouvement ascensionnel en sens contraire, n’y entraînent pas au moins le chômage industriel, la grève, les faillites, causes ou prétextes de luttes intestines. L’agriculture, seule occupation des bras et des capitaux, à peu près indifférente aux pronunciamientos qui passent, continue à marcher avec la même indolence et la même facilité.

Enfin, par cela même que l’unité administrative n’a point encore prévalu en Espagne sur les habitudes provinciales, si la révolte contre l’autorité centrale est plus fréquente, les contre-coups en paraissent moins sensibles. Vivant plus isolée, chaque province vit plus tranquille. Quand les besoins de la contrebande et l’encombrement des dépôts de Gibraltar veulent que Malaga se soulève contre le pouvoir du jour, quel qu’il soit, les Asturies ne cessent pas de vendre de plus en plus leur fer au commerce européen, et Cadix est à peine troublé dans ses relations avec Cuba par le changement ministériel qui envoie aux Antilles un capitaine-général progressiste ou modéré.

Quelle que soit d’ailleurs l’explication du fait qu’on vient de signaler, il n’en est pas moins réel. Oui, en dépit de ses divisions intestines et contrairement à ce que l’on en pense généralement, l’Espagne marche, et ses pas ne sont guère moins rapides dans les temps en apparence les plus troublés. Qu’un tel phénomène soit rassurant pour son avenir industriel, il n’en est pas moins vrai qu’il ne faut pas pousser le raisonnement à l’extrême, et l’on doit admettre le rétablissement de l’ordre intérieur comme le gage le plus sûr du progrès industriel. D’ailleurs sans ordre intérieur pas de crédit public, et ce point a une importance qu’il ne faut jamais perdre de vue.