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En somme, lors même que la réconciliation ne serait pas possible entre les partis politiques acharnés encore à se détruire, la Providence n’en continuera pas moins son œuvre, et les intérêts se développeront sans doute assez pour imposer un jour silence aux passions. Quant à la France, quant au but particulier que ses capitaux vont poursuivre en Espagne, de manière ou d’autre, on le voit, et c’est là une pensée consolante, le succès en est assuré.

En traçant, il y a quelques mois, le tableau des contrées que sur les bords de la Theiss et du Danube, sur le versant des Alpes et des Carpathes, les entreprises de chemins de fer étaient appelées à transformer, je ne pouvais, — malgré de légitimes prédilections pour d’autres œuvres de l’esprit humain, honneur des siècles précédens, — m’empêcher de rendre hommage au génie moderne et de payer à la mission civilisatrice de l’industrie la justice qui lui est due. Une semblable impression ne manque pas de se produire lorsqu’en suivant sur la carte le prolongement des voies nouvelles qu’il s’agit de construire à travers l’Espagne, l’œil s’arrête sur ces noms qui éveillent dans toutes les imaginations de si merveilleux, de si puissans souvenirs, Aragon, Castille, Navarre, barrières où l’invasion musulmane est venue mourir ; Andalousie, Murcie, Grenade, séjours jadis enchantés d’une civilisation élégante. Aux échos que ces mots sonores éveillent, sous le charme des images riantes dont ils peuplent l’esprit, il semble que les hommes qui ont pris l’initiative de ces nouveaux moyens de communication entreprennent une œuvre méritoire et grande. Et ne leur doit-on pas quelque sympathie pour rappeler ainsi le mouvement et la vie dans des lieux chers à toutes les mémoires ? Assurément, lorsque l’esprit de désordre et l’esprit de domination ont fait fermer en plus d’un pays la noble arène où s’agitaient les questions les plus dignes entre toutes de passionner le cœur humain, c’est un noble emploi des facultés de l’esprit ou de la fortune que de les utiliser à extraire du sein de la terre les richesses qu’elle recèle pour le bien de ses habitans, à distribuer les bienfaits de la civilisation aux peuples qui n’en ont pas toute leur part. Cette conduite est bonne surtout quand il s’agit d’une nation qui se recommande comme le peuple espagnol à l’estime de tous, — dans le passé par ses victoires sur l’islamisme, — à une époque plus rapprochée de nous par les luttes héroïques soutenues pour reconquérir son indépendance, — aujourd’hui enfin par ses persévérans efforts pour consolider sa liberté.


BAILLEUX DE MARIZY.