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La Russie, sans avoir dit d’une façon aussi absolue qu’on l’a affirmé qu’elle ne voyait en cette affaire qu’une question purement allemande, la Russie cependant ne s’est point prononcée. La France et l’Angleterre se sont bornées pour le moment à laisser entendre que si la querelle devait aller à Francfort, elles seraient portées à y voir une affaire européenne. Et en effet les puissances ont reconnu et garanti l’indépendance du Danemark : pourraient-elles rester indifférentes le jour où l’Allemagne, sous prétexte de protéger les duchés, exercerait réellement une pression abusive sur la monarchie danoise tout entière ?

Il reste à l’horizon de l’Europe cette ombre un moment projetée par la rupture diplomatique qui a éclaté tout à coup entre l’Autriche et le Piémont. Cette rupture est aujourd’hui consommée, bien que M. de Buol ait essayé de la rendre un peu moins entière en cherchant à retenir à Vienne le chargé d’affaires piémontais, le marquis de Cantono ; mais comment le roi de Sardaigne pouvait-il continuer à se faire représenter diplomatiquement à Vienne, lorsque l’empereur d’Autriche rappelait son ministre à Turin, le comte de Paar ? Cette situation est pleinement éclaircie aujourd’hui par deux dépêches dans lesquelles les deux gouvernemens ont consigné leurs dernières résolutions, M. de Buol, en maintenant ses récriminations au sujet de ce qu’il dénoncée comme un système permanent d’agression contre l’Autriche, rappelle le comte de Paar, non sans le charger toutefois de recueillir les explications nouvelles que pourrait donner encore le président du conseil du roi Victor-Emmanuel. Le chef du cabinet de Turin, à son tour, se refuse à toute explication, qui perdrait son vrai caractère sous le coup du rappel de l’agent autrichien. Lorsqu’un incident de cette nature, qui touche aux situations les plus délicates, qui fait vibrer les passions les plus vives, se produit dans la politique, on ne peut s’empêcher de voir derrière les actes officiels et diplomatiques toutes les autres questions qui peuvent grandir, qui sont d’autant plus menaçantes qu’elles sont plus vagues, et qui ont le souverain inconvénient de pouvoir faire d’un froissement passager un antagonisme violent et irrévocable. Là est en effet le danger, et ce danger ne peut être conjuré que par la sagesse des cabinets, qui, après avoir commis des fautes parfois, retrouvent heureusement assez de sang-froid pour en retenir en quelque sorte les conséquences. Les cabinets de Vienne et de Turin en sont-ils là déjà ? Il y a toujours un fait singulier à remarquer, c’est que cette rupture s’est accomplie avec une extrême courtoisie, qui semble survivre à l’incident lui-même, et on en vient involontairement à se dire que si de part et d’autre on eût montré avant la rupture un peu de cette bienveillance mutuelle qu’on montre après l’interruption des rapports diplomatiques, peut-être eût-on réussi a éviter une extrémité toujours périlleuse.

L’Autriche et le Piémont ont raison de ne point laisser envenimer une situation assez difficile par elle-même. L’Autriche sent bien qu’elle ne pourrait pousser à bout cette querelle sans assumer une responsabilité singulière devant l’Europe, qu’elle remettrait en armes. Le Piémont, de son côté, ne saurait méconnaître que, par la témérité, par des impatiences puériles, par des manifestations irréfléchies, il peut tout perdre, il peut tout compromettre. Il y a toujours eu dans le monde sans doute des peuples aspirant à s’agrandir,