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les explorations. Pour n’être ni très nombreux ni très étendus, les résultats n’en furent pas moins des plus intéressans. Dans une de ses expéditions, le docteur Kane découvrit sur la côte occidentale du Groenland un glacier qui, par ses proportions colossales, laisse, bien loin derrière lui tous ceux que l’on connaît dans le monde entier. Il donna au glacier lui-même le nom de Humboldt, et aux promontoires qui le terminent ceux d’Agassiz et de Forbes, deux savans dont les études sur les phénomènes glaciaires sont si justement célèbres. Entre ces deux points, sur une longueur de plus de vingt lieues, le glacier se termine par une haute muraille élevée de cent mètres au-dessus de la mer. Le docteur Kane ne put pas gravir cette formidable barrière, ni contempler l’immense mer de glace qui la domine, plus digne de ce nom que celle que tant de voyageurs vont admirer au-dessus de la vallée de Chamounix, sur les hautes pentes du Mont-Blanc. On ne doit pas s’étonner qu’à des latitudes aussi élevées un glacier puisse atteindre une pareille extension, quand on réfléchit que de là jusque près du cap Farewell, sur cinq cents lieues de longueur, le Groenland est recouvert en entier par un manteau de neiges éternelles dont personne ne pourra jamais mesurer la profondeur.

Le docteur Kane traça ensuite les contours du canal Kennedy, prolongement septentrional du canal de Smith. Une petite troupe, dont il faut regretter que le chef de l’expédition n’ait point fait partie, atteignit un point où la glace commençait à céder : les chiens attelés au traîneau, prévenus par leur instinct, refusèrent d’avancer. Il fallut gagner la côte voisine. Les voyageurs ne tardèrent pas à voir s’ouvrir devant eux un canal où une flotte entière aurait pu manœuvrer à l’aise, et qui s’élargit de plus en plus à mesure qu’ils avancèrent vers le nord. Le bruit inaccoutumé des vagues, la rencontre de nombreux oiseaux marins, tout leur fit espérer qu’ils étaient arrivés enfin à la véritable mer polaire ; malheureusement un cap élevé vint arrêter leurs progrès. Du point extrême où ils étaient parvenus, ils apercevaient du côté de l’est un horizon libre et sans glaces ; à l’ouest s’élevaient les pitons bleuâtres dont la chaîne domine la terre de Grinnell, qui fait face au Groenland. La cime la plus lointaine, peu éloignée du 83e degré de latitude, que personne n’a jamais atteint, reçut le nom illustre de sir Edward Parry. Les compagnons du docteur Kane avaient-ils découvert cette mer polaire, si impatiemment cherchée par les navigateurs arctiques ? Tout semble autoriser à le croire ; pourtant le chef de l’expédition rappelle lui-même avec modestie que dans le canal de Wellington, le capitaine Penny vit la mer sans glaces à la place même où sir Edward Belcher fut contraint d’abandonner ses vaisseaux. Dans le détroit même de Smith, le capitaine Inglefield avait aussi aperçu un bassin ouvert et dégagé de glaces à la latitude où le docteur Kane se trouvait emprisonné.

Les influences qui dégagent les détroits du grand labyrinthe arctique, obstrués par les glaces l’hiver, agissent d’une manière si irrégulière et si incertaine, que l’explorateur américain attendit vainement pendant tout l’été le moment qui lui permettrait de redescendre vers la baie de Baffin. Les jours se succédaient sans amener aucun changement. L’impatience et le découragement des malheureux voyageurs se changèrent en un morne désespoir, quand il fallut se résoudre affronter les rigueurs d’un nouvel hiver, cette fois sans charbon, sans vivres, sans provisions suffisantes. Il