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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 9.djvu/11

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que fait dominer un génie national. Le poète danois Oehlenschlæger fut le premier qui donna ouvertement à ses compatriotes le conseil de rejeter toute imitation étrangère, et au conseil il joignit l’exemple. Jusque-là, c’était pitié de voir la scène de Copenhague, qui s’est montrée depuis fort capable d’une existence propre, et qui avait eu Holberg, ne vivre que de misérables traductions des pièces de Kotzebue, imitées elles-mêmes de nos productions les plus vulgaires.

C’était pis encore en Suède. Si l’on peut croire que l’introduction des mœurs et de l’esprit français à la cour brillante de Gustave III avait servi à répandre parmi ses sujets les habitudes et les goûts d’une société polie, il faut bien reconnaître que déjà sous son débile et malheureux successeur, le voile d’emprunt une fois écarté et le charme rompu, on apercevait l’anéantissement de tout esprit public et un vide funeste que de ridicules superstitions ou bien de misérables intrigues, marques de l’ébranlement maladif des intelligences et de la corruption des cœurs, essayaient seules de remplir. Trois jeunes poètes, Atterbom le premier, et bientôt après lui Geijer et l’évêque Tegner, excités par l’exemple du poète danois, donnèrent en Suède le signal de la réaction. Dès 1807, Atterbom, de concert avec quelques jeunes écrivains d’Upsal, fonda une société littéraire et un recueil périodique, celui-ci sous le nom de Phosphoros et celle-là sous le nom d’Aurora; c’était l’aurore en effet de la littérature nationale, et ces jeunes gens en étaient les vrais messagers. Au commencement de 1811, à l’exemple des phosphoristes, Geijer et Tegner, avec quelques compagnons d’étude, fondèrent aussi à Upsal la Société gothique et le recueil intitulé Iduna. C’est dans ces deux publications de Phosphoros et Iduna, organes des deux sociétés, que parurent les premières œuvres des poètes qui allaient devenir si justement célèbres, et à qui la Suède est redevable aujourd’hui d’avoir une littérature. L’une et l’autre réunion, bien entendu, n’avaient pas été fondées de propos délibéré pour opérer la réforme dont elles devaient être les instrumens : on s’était réuni pour converser et versifier ensemble; mais à leur insu peut-être, et grâce à l’heureuse et providentielle initiative éternellement réservée à la jeunesse, ces écrivains et ces poètes s’étaient trouvés les dépositaires et les interprètes d’une inspiration commune qui se traduisit bientôt dans leurs écrits comme dans leurs patriotiques entretiens. Dès qu’ils eurent la claire conscience de la mission (ce n’est pas trop peu dire) dont ils étaient chargés envers leur pays et leur temps, et dès qu’ils l’eurent annoncée à la Suède, il sembla véritablement qu’un souffle nouveau eut passé dans les esprits et dans les cœurs pour susciter un essor général.