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Unique était le but, mais la poursuite en fut multiple et diverse, selon les divers penchans des esprits et selon les manifestations variées de l’idée nationale qu’on voulait dégager et mettre en lumière. La première inspiration, nous l’avons dit, avait été de demander exclusivement au sol natal la nouvelle moisson qu’on espérait recueillir. Loin de la capitale, loin des villes, foyers d’une civilisation souvent étrangère et empruntée, n’y avait-il pas les campagnes, et l’industrieuse Dalécarlie, et le pauvre Norrland, où l’on retrouverait intacte et pure la vieille sève scandinave? En remontant d’ailleurs au-delà des limites du temps présent, ne rencontrerait-on pas les souvenirs et les inspirations du génie national se développant par ses seules forces? Isolés par leur situation géographique des autres états de l’Europe, les peuples du Nord avaient pendant longtemps échappé, puis résisté aux influences venues du continent, même à l’ascendant des traditions classiques, même aux bienfaisans progrès du christianisme. Recueillir partout où ils seraient encore cachés, dans les coutumes locales, dans les chants populaires, dans les légendes des campagnes, les traits essentiels du caractère scandinave, reconstituer ensuite le passé, retrouver la verve originale et poétique du moyen âge, évoquer les ombres des anciens héros, celles des dieux du Nord et les mythes ténébreux de la religion primitive, telles furent les voies diverses dans lesquelles se répandit, chefs et disciples, la nouvelle école. Le célèbre philologue danois Rask était venu en 1812 à Stockholm et s’y était fixé pour quelque temps. Il y publia, outre ses éditions si estimées des deux Eddas[1], de curieux commentaires sur cette mythologie du Nord, encore à peu près inconnue. Ce fut une étincelle qui alluma une inspiration nouvelle. Odin, Thor et Frei, les trois grands dieux de l’ancien olympe, redevinrent populaires, aussi bien que les vikings (les anciens pirates) et les héros des vieilles sagas. La linguistique et l’archéologie s’appliquèrent à fouiller les tombeaux, à interpréter les inscriptions runiques, à secouer la poussière des manuscrits islandais. A côté de l’école poétique, une école historique était née, dont le patriotisme et le dévouement, voisins de l’enthousiasme, soutenaient les patientes études, aiguisaient la perspicacité et doublaient les lumières.

Il s’en fallut de peu qu’il ne se formât aussi dans le domaine de l’art une école nouvelle. Les adorateurs les plus passionnés de la mythologie du Nord prétendaient qu’elle offrait aux artistes des modèles de beauté idéale égaux à ceux de l’antiquité classique; ils affirmaient que c’était de la servitude que de rester attaché aux vieux enseignemens de la Grèce; il était temps de s’en affranchir et de révéler

  1. Les grands poèmes mythiques du Nord; on distingue la vieille et la jeune Edda.