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derne les antiques monarchies orientales, émanations des théocraties, c’est bien la monarchie française.

Cette influence théocratique a été bien plus forte encore sur la noblesse française. Notre aristocratie semble n’avoir jamais eu de libre arbitre. Si elle songe à se rendre indépendante de la royauté, elle n’a jamais songé à se rendre indépendante de l’église, et c’est en partie à cette raison qu’elle a dû la mauvaise fortune de ne jamais devenir une classe politique. Nos rois, malgré leur titre de fils aînés de l’église, et quoique serrés de près par le subtil réseau de l’influence ecclésiastique, ont su résister à l’église et maintenir leur pouvoir séparé du sien. La royauté a su vouloir malgré l’église et contre l’église ; notre noblesse n’a jamais voulu que ce que voulait l’église. Elle a vécu, agi, combattu sous l’égide sacerdotale ; les actes les plus brillans de son existence et les taches les plus sanglantes de son histoire, elle les doit à l’inspiration du clergé. Elle a marché d’un élan sans égal aux croisades, elle s’est laissé mener sans répugnance au massacre des Albigeois. Nos nobles, si fiers, si brillans, si prompts à l’oppression, si détestés du peuple et des petits (ce que l’on ne rencontre dans aucun autre pays), n’ont été que les serviteurs et les exécuteurs des hautes œuvres du clergé. Vous rencontrez leur main et leur épée dans toutes les persécutions religieuses. Une fois ils ont eu l’occasion de se débarrasser de cette tutelle ; ils l’ont dédaigneusement laissé passer. Lorsque la réforme éclata, ils pouvaient, en adoptant le protestantisme, cesser d’être ce qu’ils avaient toujours été, de purs soldats, inutiles partout ailleurs que sur des champs de bataille. Ils pouvaient devenir une classe politique. Tout le leur conseillait, et l’exemple des aristocraties du Nord, et leur propre turbulence, et leurs propres convoitises. Ils laissèrent passer cette occasion unique, qui ne pouvait plus se représenter ; un petit nombre adopta la réforme, mais le grand nombre, après un moment d’hésitation, resta fidèle à la vieille cause. De même que leurs ancêtres n’avaient eu aucun scrupule de massacrer, pour plaire au clergé, leurs propres frères en chevalerie, les compagnons d’armes de Raymond de Toulouse et de Roger de Béziers, ils n’eurent alors aucun scrupule de massacrer les nobles protestans et d’aller se confondre dans les rangs de la ligue avec la populace des sacristies et les bourgeois des confréries, car la puissance du clergé sur la noblesse a été telle qu’elle a pu rompre le lien puissant qui réunit les aristocraties, la solidarité. Les destinées de la noblesse ont donc été enchaînées à l’église par les nœuds les plus étroits, nobles et prêtres ont partagé la même fortune bonne et mauvaise, comme le font les maîtres et les serviteurs d’une grande maison. Ils ont triomphé ensemble, périclité ensemble, et ont disparu le même jour. La