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dernière grande campagne du clergé, la guerre de Vendée, a été la dernière campagne de la noblesse française. Cette alliance, ou pour mieux dire cette servitude, a été tellement forte qu’elle dure encore.

C’est sur la noblesse française que cette influence sacerdotale a eu les conséquences les plus funestes, et cependant nous n’oserions prononcer un jugement trop sévère. De même qu’elle a imprimé à la monarchie un caractère quasi pontifical, elle a donné à la noblesse féodale un plus grand désintéressement des réalités politiques et un goût plus vif des choses du pur esprit. Chez les autres peuples, le féodal est un personnage dur, égoïste, anarchiste, prompt à venger ses insultes ou à prendre les armes pour augmenter son bien du bien d’autrui, lent à se mettre en mouvement s’il s’agit d’une affaire d’intérêt général ou d’une entreprise qui ne le touche pas directement, brutal comme un soldat et processif comme un légiste, populaire cependant (et c’est par là qu’il se rachète de ses vices) en ce sens qu’il est aussi grossier que ses vassaux, qu’il les tyrannise avec cette familiarité toujours chère à la populace, et qu’il n’y a entre eux et lui d’autre différence que celle du commandement à l’obéissance. La noblesse féodale française a exactement les mêmes défauts, sauf la grossièreté et la familiarité populaires. De très bonne heure elle a eu une éducation différente de celle de la nation, de très bonne heure elle a eu une grande supériorité d’intelligence et de manières, et c’est, je crois, à ses rapports très intimes avec le clergé et à son attachement pour lui qu’elle doit ce caractère. Le clergé lui a insufflé son esprit, qui peut être dangereux parfois, mais qui n’est jamais grossier ; il l’a chargé de ses causes, qui peuvent être oppressives, mais qui ne sont jamais vulgaires. De là une certaine allure réellement noble, une véritable élévation d’âme qui charment et attirent au milieu de la rude société qu’elle tyrannise. Cette supériorité réelle de la noblesse sur le reste de la nation s’est maintenue longtemps, et lui a permis à plusieurs reprises d’exprimer, aussi complètement qu’il est possible de le faire dans les conditions de la terre, les chimères idéales de son époque. Les nobles français ont eu au plus haut degré le génie de l’impraticable et le goût des belles choses inutiles ; artistes en guerre, en amour, en politique, en mondanités, ils ont réalisé le programme romantique : faire de l’art pour l’art. Jamais un vulgaire but politique ne les préoccupe, jamais ils ne cherchent un résultat banalement pratique ; ils sont héroïques pour le plaisir de l’être, et parce que l’héroïsme est une vertu qui sied bien à un gentilhomme. Point de passions amoureuses et politiques, cela est trop naturel et trop populaire, mais une galanterie raffinée, exquise, et dans l’intrigue une souplesse et une dextérité inexprimables. Ils vivent et se meuvent avec aisance dans le monde des super-