fluités élégantes, et tel est leur amour pour elles, qu’ils jugent tout exclusivement au point de vue de la grâce ; les vertus humaines ne les préoccupent qu’autant qu’elles sont susceptibles d’avoir une tournure élégante, et ce sont les seuls qui aient eu le talent d’élever certains vices à la hauteur de vertus véritables.
Si l’idéal constitue, ainsi que nous l’avons dit, le génie français, notre noblesse représente bien certaines parties de ce génie. Nous lui devons une chose très noble, la chevalerie, une chose charmante, la politesse. La chevalerie, idéal poétique du moyen âge, a été en France, et en France seulement, une demi-réalité. Si nos rois brillent plus par la majesté et l’habileté politique que par l’héroïsme militaire, nos nobles féodaux en revanche éclipsent ceux de tous les autres pays par leur bravoure et leur audace. Ils rendent au loin le nom de Franc synonyme de chrétien et d’Européen ; l’éclat qu’ils jettent est tel que les peuples résument en eux toute une religion, toute une moitié du monde, et la vie de vingt nations différentes. Normands et Flamands, Languedociens et Provençaux, les chevaliers d’origine française sont les seuls qui répondent à peu près à cet idéal de vie aventureuse, de vaillance, de courage désintéressé ou de sainteté militaire que réveille en nous le nom de chevalerie. En tenant compte de la distance qui sépare toujours les actes accomplis de l’idée qui leur donna naissance et le type réalisé du type idéal, on peut avancer sans crainte que nos chevaliers se sont approchés, aussi près que le permettent les conditions humaines, de la perfection chevaleresque. Ce sont eux qui ont décidé ce grand mouvement des croisades qui, pendant deux siècles, devait être la chimère idéale des nations, le rêve poursuivi par toutes les grandes âmes, et, mieux que tout cela, le moyen de satisfaction de tous les instincts élevés de l’humanité. Les autres peuples hésitèrent avant de se lancer à la poursuite de cette grande aventure ; Anglais, Allemands, Hongrois, Italiens, entrèrent successivement dans le mouvement comme entraînés par l’exemple ; mais l’exemple lui-même vint de la France. Là, nulle hésitation, nulle lenteur, nulle prudence, mais un grand élan spontané, unanime, désintéressé. Jamais chevalier du saint Graal ne s’est mis à la poursuite du temple mystérieux l’âme plus enivrée d’espérances infinies, l’imagination plus éprise de dangers à vaincre et de princesses captives à délivrer, que nos chevaliers de la première croisade marchant à la conquête du saint sépulcre. Dans un instant unique, ils dépassèrent tous les exploits imaginaires des poèmes chevaleresques, et éclipsèrent les noms des chevaliers fabuleux de la fabuleuse Table-Ronde ou de la cour apocryphe du Charlemagne légendaire. La piété sincère, la ferveur religieuse de Godefroy de Bouillon font paraître