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préoccupation a toujours été la défense des droits de l’intelligence. De là vient qu’elle a été considérée à juste titre comme une des armes principales du progrès moderne.

C’est ici que le génie français prend sa revanche sur le génie des autres nations. Sa littérature a été un outil d’affranchissement spirituel plus puissant peut-être que ne l’aurait été l’initiative politique du citoyen. En restant dans la région des pures idées, elle n’a jamais été tenue à ces compromis auxquels oblige la vie politique. Libre dans le libre empire de l’abstraction, n’ayant aucune concession à faire, aucune réalisation immédiate à obtenir, se présentant avec innocence comme un pur délassement de l’intelligence, comme un noble amusement, elle a pu sans gêne formuler les théories les plus hardies, énoncer les principes les plus absolus, se permettre tous les excès de la logique. Aucune difficulté ne l’arrêtait dans ce domaine des abstractions sans corps si différent du domaine compliqué des réalités. Notre littérature passe pour pratique, parce qu’elle a toute l’activité du pur esprit, et surtout parce qu’elle n’est pas un produit passif de la vie nationale, un miroir aimable et poétique des mœurs populaires ; en réalité, elle est extrêmement abstraite, idéale et utopique. Elle est cependant pratique en ce sens qu’au lieu d’être comme partout ailleurs une conséquence des faits antérieurs, elle a toujours été un principe des faits à venir ; elle est pratique encore en ce sens que les sujets favoris sur lesquels elle a aimé à s’exercer sont ceux des constitutions politiques, des principes du gouvernement, de la discipline religieuse, des pouvoirs respectifs des sociétés laïque et ecclésiastique, des droits primitifs et inaliénables de l’homme, du mécanisme des institutions, du mensonge social. Seulement dans ces sujets de polémique elle n’a porté ni la modération ni la mesure et la circonspection qui distinguent l’esprit pratique. Les principes vrais ou faux qu’elle expose ont la rigueur géométrique. Pratique par les sujets qu’elle traite, notre littérature est essentiellement idéaliste par la manière dont elle les traite. Si la réalité ne peut s’accommoder de ses principes absolus, tant pis pour la réalité ! Périssent les colonies plutôt qu’un principe et le monde plutôt que la justice ! On pourrait reprocher sans doute à cet esprit bien des défauts ; en somme, le bien l’emporte sur le mal. C’est par cette activité intellectuelle que la Fiance a racheté cet abandon d’elle-même auquel elle s’est trop laissée aller dans la vie politique, c’est par là qu’elle s’est sauvée de la servitude. Sa littérature a tenu ferme et bon dans cette citadelle inaccessible de l’esprit où elle s’est logée, et où elle n’a eu à craindre ni compromis, ni concessions ; elle a arboré d’une main sûre le drapeau des droits de la conscience, elle a élevé au-dessus du temps et de l’espace, au-dessus des tyrannies