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avec les membres du cénacle de Goettingue, entra cependant en rapport avec eux, et consentit même à leur envoyer diverses pièces que publia l’Almanach des Muses, organe alors fort répandu de la société, et qui depuis a marqué sa place dans l’histoire de la poésie allemande. Sans aucun doute, la nature judicieuse et sensée de Goethe était peu faite pour sympathiser avec cette école du clair de lune et de la sentimentalité ; mais à Wetzlar on n’avait que l’écho affaibli de ces extravagances, auxquelles on n’assistait point, et puis l’écervelé compagnon des fredaines chevaleresques du sire de Goué, le templier postiche du Teutsche Haus, avait-il bien alors qualité pour revendiquer en poésie les droits de la saine raison ? Goethe était loin d’être, à cette époque, même à l’endroit du caractère, ce qu’il devint plus tard : il se cherchait dans le trouble et la confusion, et sa pensée, pour prendre forme, avait besoin d’être sollicitée par un appel extérieur ; en un mot, il ne savait encore travailler que sous le coup d’une émotion immédiate. « Je m’efforçais intérieurement, écrit-il lui-même, de me débarrasser de tout élément étranger ; je m’adonnais avec transport à la contemplation du monde extérieur, à l’étude des êtres (à commencer par l’être humain), aussi approfondie qu’on la puisse mener, les laissant chacun à sa manière agir sur moi. Il en résulta une incroyable affinité avec tous les objets, une sorte de consonnance intérieure, de vibration simultanée, tellement que le moindre changement de lieu, la moindre variation atmosphérique, me tenaient sous leur influence. Bientôt au regard du poète vint se joindre le regard du peintre, et cet aimable paysage, qu’anime si gracieusement son fleuve pittoresque, favorisant mes contemplations silencieuses et jalouses de s’exercer de toutes parts, je sentis s’accroître irrésistiblement mon amour de la solitude. »

Néanmoins, en fait de compositions poétiques, le séjour à Wetzlar n’eut point des résultats proportionnés à cette continuelle et excessive surexcitation. Goethe produisit peu dans cette période, et