classe, dont la nullité donna toute latitude à l’autocratie. Enfin cet élément intermédiaire ne s’accroît numériquement qu’avec lenteur; le servage, rigidement maintenu, lui a fourni trop peu d’adjonctions. Là est le secret de l’absence prolongée d’un tiers-état russe, il n’avait pas où se recruter. En conséquence, cette classe n’est encore sur aucun point à l’état de groupe organisé; des créations de villes en vertu d’un décret ont augmenté la population urbaine sans constituer une cité, et Catherine II, en l’autorisant à tenir des assemblées triennales pour la discussion de ses intérêts communs et l’élection d’un représentant, ne put faire prendre au sérieux ce simulacre d’institutions municipales. Son institution des trois guildes, ou corporations de marchands, à laquelle elle attacha quelques privilèges, fut mieux accueillie, et ce fut la première inauguration de l’aristocratie bourgeoise russe. Quarante années de paix depuis 1815 l’ont aidée à conquérir la richesse, l’importance sociale, et à satisfaire ainsi l’ambition légitime qu’allumait encore en elle le spectacle d’une partie de la noblesse, appauvrie par ses prodigalités et par la division des fortunes, en vertu de l’égalité des partages. Grâce à la paix, elle bénéficia de spéculations plus vastes, qui la tirèrent en même temps des vues étroites de son mercantilisme traditionnel; mais c’est l’industrie surtout, l’industrie largement pratiquée, qui fut son piédestal. On a vu comment, ayant cédé aux seigneurs l’honneur du premier pas et le danger des expériences, elle accapara ensuite le plus grand nombre des manufactures; aujourd’hui elle possède de gros capitaux, dont elle apprendra à se mieux servir en se familiarisant davantage avec le mécanisme du crédit et de l’association; elle a une clientèle innombrable dans tous les petits trafiquans et dans les ouvriers des fabriques. Enfin la plupart des beaux hôtels de Moscou, précédemment habités par la fleur des descendans des Varègues et des Tatars, sont la propriété de fabricans et de marchands fils de moujiks, ou encore moujiks eux-mêmes. Le faubourg Saint-Germain de Moscou est envahi par ces parvenus, qui jettent aussi un œil d’envie sur la propriété territoriale. Voilà les preuves de leur habileté et de leur esprit d’entreprise. D’après ce qu’ils ont fait, qu’on juge de ce qu’ils pourront faire dès qu’ils verront de nouveaux moyens de se pousser dans la voie ascendante où ils doivent s’élever encore pour être au niveau de la classe supérieure, et pour dire : « Hier nous étions des parvenus, aujourd’hui nous sommes arrivés. »
Quant au servage, il est entamé. Sur la population agricole, évaluée à 49 millions d’âmes, les cultivateurs mâles sont comptés pour 24 millions. Il y en a près de 2 millions de libres : les colonistes étrangers et israélites, les odnodvortsy, tenant de l’état la jouissance de quelques terres pourvues de serfs et possédant d’autres