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cesse la route par les chants nationaux, dont pas un d’entre eux n’ignore paroles et musique. Pour peu que la circonstance devienne solennelle, comme à l’occasion d’une fête scandinave, les discours viennent s’ajouter aux chants avec une rare fécondité. Ajoutez l’intervention fréquente des mères et des sœurs, sûrs indices de l’alliance conservée chez ces peuples entre le patriotisme et le respect de la famille.

Pour certaines gens, il est vrai, les sentimens excluent les idées. « Fêtes de jeunesse, disent-ils, et loisirs d’étudians! Vaines imaginations d’un avenir impraticable! Beau sujet de toasts et de harangues, de chants et de poésies, et, s’il voulait être pris au sérieux, digne sujet de moquerie et de caricatures[1] ! » Est-ce donc là tout, et le scandinavisme mérite-t-il cette justice sommaire? Est-il bien vrai que, sous le sentiment généreux d’une fraternité nouvelle, il n’y ait absolument nulle idée pratique, nul dessein salutaire et exécutable? N’y a-t-il là qu’un rêve de poètes et qu’une fantaisie de jeunes gens? Il faut reconnaître sans doute que des écrivains, des poètes ont été les premiers à raviver dans le Nord le sentiment presque effacé de la nationalité commune. Qu’importe cependant? et quel argument en saurait-on légitimement tirer contre les premiers efforts du scandinavisme, s’il est vrai que ces écrivains et ces poètes avaient de leur mission une haute idée, s’il est vrai qu’il ne s’agissait pas pour eux d’un jeu d’esprit, mais d’un patriotique dessein, et que la conscience claire d’une vérité lointaine, n’excluant pas la vue des difficultés pratiques, en donne plutôt la mesure, les domine et aide à les vaincre? Non, ce n’était pas un vain jeu d’esprit que de montrer aux Suédois, aux Danois et aux Norvégiens, — par l’histoire remontant aux sources originales, comme l’écrivait Geijer, par la poésie s’inspirant des sagas, comme Tegner la chantait, par le drame national enfin, tel qu’OEhlenschlæger l’instituait sur la scène danoise, — quelle source de nobles sentimens et de glorieux travaux la vieille Scandinavie avait su tirer du développement de ses seules forces. Ce ne pouvait être un conseil stérile que d’exhorter la jeune Scandinavie, après lui avoir révélé sa dignité, ses ressources, à ne pas demeurer au-dessous de ses premiers aïeux. Quels étaient les vœux des promoteurs du mouvement scandinave? Que chacun des trois peuples apprit seulement à mieux connaître les deux autres, et qu’à d’aveugles inimitiés succédât une mutuelle estime, base nécessaire d’une étroite alliance morale dans l’avenir;

  1. L’ancien Corsaire danois en avait fait une amusante à ce propos : trois bouteilles, dont chacune portait une des trois étiquettes : Suède, Danemark, Norvège, et d’où s’élançaient à la suite des bouchons trois étudians qui se rencontraient et sympathisaient dans les airs, au milieu des nuages, parmi les vapeurs fumeuses du champagne !